Porcherie aquatique
(ASP) - La consommation mondiale de poisson
augmente chaque année. Pour remédier au
déclin des stocks de poissons, une solution paraît
logique : l'élevage de poissons, ou aquaculture.
Cette révolution bleue montre des taux de croissance
annuels exceptionnels de 10%, loin devant lindustrie
de la viande animale (3%). Mais voilà qu'on s'aperçoit
que la pression sur les espèces " sauvages "
ne diminue pas toujours et que les écosystèmes
marins n'en sont pas améliorés.
" Il y a deux types daquaculture ",
explique Daniel Pauly, biologiste en pêcheries à
lUniversité de Colombie-Britannique. Dans
un premier cas, on utilise des espèces qui peuvent
se nourrir de végétaux ou des débris
organiques. Le tilapia, de plus en plus populaire en Amérique
du Nord, mais aussi les mollusques (moules et pétoncles),
font partie de ces espèces animales. " Cest
un apport net de protéines à la table de
lhumanité ", et c'est un type daquaculture
" durable " qui existe depuis des
millénaires. Les Chinois savent ainsi depuis longtemps
élever des carpes, une espèce herbivore,
dans des étangs. Ils savent aussi faire des polycultures,
utilisant différentes espèces de poissons
pour maximiser lutilisation de la nourriture dans
les étangs. Ce savoir représente encore
une large partie de laquaculture (80% selon la FAO)
mais il se perd tranquillement au profit du deuxième
type d'aquaculture, plus intensive et plus dommageable.
A l'instar de Daniel Pauly, Barry Costa-Pierce,
un spécialiste de laquaculture à lUniversité
du Rhode Island, est sévère face à
cette aquaculture moderne, qui a commencé il y
a 30 ans avec le saumon. Tous deux nhésitent
pas à comparer ces élevages à des
porcheries marines.
Ces aquacultures, généralement
réalisées en mer, génèrent
une importante couche de matière organique, composée
de déjections animales et de reste de poissons,
qui pollue les fonds marins.
De plus, laquaculture moderne utilise
des poissons carnivores : le saumon, languille
ou la morue. De sorte qu'il faut généralement
trois kilos de poissons... pour produire un kilo de saumon!
Ce qui affecte du même coup dautres populations
de poissons et leurs écosystèmes aquatiques.
Fines bouches, les saumons ne mangent pas des farines
animales, leurs chairs perdraient ce " goût
de mer " si recherché.
Enfin, Daniel Pauly insiste sur le fait
quune grande partie de ces poissons nécessaires
à lalimentation de laquaculture provient
des pays du Tiers-Monde. On affecte donc les populations
de poisson de régions déjà sous-alimentées.
Sajoutent des inconvénients
similaires à ceux des élevages agricoles :
utilisation dantibiotiques, transmission facilitée
de maladies et destruction décosystèmes
terrestres, comme les mangroves en Asie pour laquaculture
de la crevette. La panacée nest donc pas
dans laquaculture moderne tel quon la connaît.
Toutes ces inquiétudes étaient
à l'ordre du jour de la journée sur l'aquaculture,
dans le cadre du 133e congrès
annuel de lAssociation américaine des pêcheries
qui avait lieu récemment à Québec.
Un déclin sous surveillance
Quant aux saumons génétiquement
modifiés, offrent-ils un avantage? " Il
croissent peut-être plus vite, rétorque Monsieur
Pauly, mais ils ont toujours besoin de poissons pour se
nourrir, ce qui ne change rien au problème. "
LEurope tente de mettre sur pied un
cadre législatif entourant les pratiques aquacoles,
mais la plus grande proportion daquaculture se fait
en Chine et dans des pays du sud où les lois sont
peu contraignantes. De toutes façons, ces lois
risquent de devenir caduques si lindustrie réalise
un de ces projets : sinstaller en haute mer
(mariculture), loin des juridictions et des tracasseries
nationales.
Le problème devient encore plus lancinant
devant l'incontestable diminution des stocks de poissons.
Le thème du congrès de Québec, le
déclin universel des populations de poissons sauvages,
le soulignait. Dans le St-Laurent, personne ne semble
mettre en doute la lente disparition des poissons de fond
comme la morue et le sébaste. Ce déclin,
selon Daniel Pauly, résulte de lexplosion
démographique, de lamélioration prodigieuse
des techniques de pêche et de labsence de
politiques nationales et internationales pour encourager
une gestion durable des pêches.
Établissement de réserves
maritimes où la pêche serait interdite, fin
des subventions aux pêcheurs ou interdiction de
certains instruments de pêche: la plupart de ces
interventions ne nécessiteraient pas daccords
internationaux, la pêche étant en grande
majorité (85-90%) réalisée dans les
eaux territoriales. Le déclin des populations de
poissons est mondial, mais les espoirs de survie sont
régionaux.