Les bactéries
voient rouge
(Agence Science-Presse) - Même sur
la banquise, il existe des écosystèmes florissants.
Ces communautés d'organismes microscopiques, actives
seulement quelques semaines par année, nous enseignent
la survie en condition extrême, la coopération
et l'histoire de la naissance de la vie sur Terre.
Les cyanobactéries, les organismes
les plus représentés, doivent se protéger
de l'intense rayonnement solaire de l'été
arctique. Dans ce but, elles synthétisent une grande
variété de pigments capables de bloquer
les ultra-violets. Plusieurs pigments sont à présent
identifiés : caroténoïdes, comme dans
la carotte, scytonémine, très efficace pour
absorber les UV-A... Ces pigments, généralement
sécrétés à l'extérieur
des bactéries, joueraient aussi le rôle d'antigel,
de sorte que cette adaptation profite autant aux bactéries
qu'aux organismes cachés en-dessous. Dans cet environnement
hostile, coopération signifie survie.
L'équipe de Warwick Vincent, un spécialiste
des cryo-écosystèmes (cryo = froid) à
l'Université Laval, a effectué cette découverte
sur la plate-forme glaciaire de Markham, au nord de l'ile
Ellesmere. Dune épaisseur de 30 à
100 mètres, elle forme une île de glace (40
km2). À cet endroit, la température ne passe
au-dessus de 0º C que quelques semaines par année.
Il se forme alors des étangs propices (façon
de parler!) à la vie, facilement identifiables
à leur couleur rouge-orangé (à cause
des pigments bactériens). Les écosystèmes
reprennent vie et une multitude d'organismes (cyanobacéries,
micro-invertébrés, levures et algues) recommence
à interagir. On soupçonne la présence
de plusieurs autres espèces: les identifications
ne font que commencer.
Malgré le froid, ce cryo-écosystème
aurait une biomasse totale de 9000 tonnes, uniquement
sur Markham. " Dans les conditions qui prévalent
là-bas, c'est l'équivalent d'une forêt "
estime Monsieur Vincent.
Les plate-formes glaciaires sont une illustration
du réchauffement climatique. Il y a 100 ans, une
seule plaque glaciaire, constituée 3000 ans auparavant,
recouvrait en permanence le nord de l'île Ellesmere.
Cette plaque s'est, depuis, fractionnée en sept
morceaux, dont Markham. Le dernier fracas s'est produit
entre 2000 et 2002 selon une étude publiée
en 2003 par Warwick Vincent et son étudiant Derek
Mueller, entraînant probablement la disparition
de plusieurs des cryo-écosystèmes nouvellement
découverts : plusieurs étangs ont dû
se déverser dans la mer.
Ces écosystèmes atypiques
pourraient aussi nous informer sur l'apparition de la
vie sur Terre. Si l'hypothèse controversée
Snowball Earth s'avérait fondée,
cela signifierait que des calottes glaciaires ont jadis
recouvert toute la Terre, jusqu'à l'équateur.
Des formes de vie auraient-elles pu survivre? Les cryo-écosystèmes
actuels nous permettent d'y croire...