Les victimes de crimes, ces oubliées
(ASP) - Les inondations au Saguenay, la
crise du verglas, et à présent les attentats
du World Trade Center: tous ces événements
ont fait surgir des gestes spontanés de grande
solidarité. Il en est toutefois autrement face
aux victimes de crimes.
Bien quéprouvant la même
détresse psychologique, celles-ci attirent en effet
moins de sympathie. "Il existe pourtant de nombreux
parallèles entre les victimes de crimes et les
victimes de catastrophes", affirme Arlène
Gaudreault, criminologue de lUniversité de
Montréal, invitée à Chicoutimi lors
du premier Colloque provincial sur les conséquences
des catastrophes et des événements traumatiques.
"Dans les deux cas, lévénement
traumatisant amène le malheur, engendre la perte
de leurs repères et remet en cause tout leur passé.
La violence de lévénement, sa soudaineté
et son imprévisibilité, sont autant de facteurs
pathogènes qui peuvent amener de graves séquelles."
"À la suite de ce type dévénements,
les victimes passent par les mêmes mécanismes
de survie. Elles ont le même objectif de retrouver
leur situation antérieure. Dans les deux cas, le
désir dobtenir réparation, non seulement
matérielle, mais psychologique, demeure très
présent", explique la chercheure. Les victimes
de catastrophes, tout comme celles de crimes, subissent
beaucoup de victimisation secondaire; des souffrances
qui sajoutent à leur traumatisme. Personne
nest à labri de labandon une
fois que lévénement sest résorbé,
ni de la frustration face au manque de moyens pour dédommager
les victimes ou pour résoudre la crise.
Certes, il y a des différences entre
les deux types de victimes. Le fait davoir été
visé intentionnellement par un criminel modifie
la perspective. Les troubles psychiques sont-ils plus
graves lorsque la victime est choisie que lorsquelle
subit le hasard de la nature? "Malheureusement, on
ignore encore beaucoup de choses dans ce domaine",
déplore Arlène Gaudreault. Il faut même
ajouter une donnée supplémentaire lorsque
certains gestes revêtent un sens politique, culturel
ou social. Les victimes du caporal Lortie, à l'Assemblée
nationale, ou de Marc Lépine, à Polytechnique,
comme celles du 11 septembre, deviennent des symboles
et leurs proches font face à de forts sentiments
dimpuissance.
Mais pourquoi aurait-on moins dempathie
envers les victimes dactes criminels? Est-ce parce
que certains ont tendance à penser que les victimes
de crimes ont cherché leur malheur? Dans 72% des
actes criminels, les victimes connaissent leur agresseur.
Et dans le cas dagressions sexuelles, jusquà
85% ont un lien avec lui. La violence sinscrit alors
souvent dans un long processus et arrive parfois de façon
moins soudaine, ce qui contribue au sentiment de culpabilité
des victimes. Cette peur dêtre jugé
bloque le désir de recourir à de laide
et contribue encore davantage à garder ces victimes
en marge.
Chose certaine, dans toutes les situations,
le support de lentourage est la clef du succès
thérapeutique, au moment de la crise mais aussi
à long terme. Selon Arlène Gaudreault, qui
a mis sur pied le premier centre daide aux victimes
dactes criminels du Québec, les services
dispensés aux victimes de crimes sont encore insuffisants.
Plusieurs ne sadressent à des professionnels
que lorsque leur problème sest dégradé
ou parce quelles ont fait face à de multiples
agressions. "Il y a un manque criant de support et
de thérapeutes dans plusieurs régions et
les cellules durgence sont mal organisées,
en comparaison des services offerts aux sinistrés.
Plutôt que dencourager une intervention de
plus en plus spécialisée, il devrait exister
au Québec un guichet unique afin dorienter
les victimes vers des traitements qui, à la base,
sont très similaires".
Emmanuelle Bergeron