Un mirage appelé convergence
(ASP) - Pourquoi croit-on aux mirages? Parce
qu'en général, on veut y croire. Et qu'arrivait-il
s'il se trouvait davantage de gens pour se donner la peine
de nous prévenir qu'il s'agit d'un mirage? Grave
question, qui interpelle tout particulièrement
les journalistes, eux qui furent à l'avant-garde
de la bulle Internet, et qui ont contribué à
créer l'euphorie qui en a laissé plus d'un
sur la paille.
Des journalistes ont été paresseux,
dénonçait Brian Milner, journaliste financier
au quotidien torontois The Globe and Mail, dans
le cadre d'un colloque sur "La convergence: des promesses
folles aux espoirs déçus", organisé
à Montréal par le Centre d'études
sur les médias de l'Université Laval. Maints
scribes, poursuit-il, se sont contentés des communiqués
de presse enthousiastes (évidemment) des compagnies
qui moussaient leurs propres produits, ont bâclé
leurs recherches, ont été obnubilés
par les rapports trimestriels encourageants, ont transformé
les PDG en des célébrités.
Évidemment, ils n'étaient
pas seuls en cause: "certains gestionnaires de portefeuille
ont été carrément malhonnêtes",
en encourageant leurs clients à investir dans des
compagnies chez qui ces gestionnaires avaient eux-mêmes
des intérêts. Mais le voisin de table du
journaliste du Globe, Jean-Luc Landry, n'était
pas aussi enclin à jeter la pierre aux gestionnaires
de portefeuilles, lui qui est justement gestionnaire de
portefeuille chez Bolton Tremblay. "Quand on est dans
une bulle spéculative, on ne la voit pas", affirme-t-il.
Embrassant plus large, Jean-Guy Rens, de
la firme de recherche ScienceTech, décrit la bulle
Internet des années 1995-2000 comme quelque chose
d'idéologique. Avec la montée de la droite
pendant toute cette décennie, l'abolition des monopoles
en télécommunication, la déréglementation,
la poussée de l'informatique grand public, tous
les pions étaient en place pour la partie à
laquelle se sont livrés des milliers d'investisseurs,
petits, grands et très grands. Les gestionnaires
auraient-ils pu être plus avisés, les journalistes
plus critiques, sans doute que oui, mais ils étaient
face à un phénomène historique d'une
ampleur telle qu'on n'arrivera peut-être jamais
à départager les responsabilités
de chacun.
L'avenir, alors? Pour Hervé Fischer,
auteur et philosophe bien connu du multimédia,
une deuxième vague est à prévoir,
et c'est celle-là qui risque d'être intéressante.
"Plus intelligente, moins euphorique". La montée
en puissance du numérique se fera, cette fois,
sans le concours de la mythique convergence, qui est,
à ses yeux, "un contre-sens: chaque média
a ses spécificités, un site web n'est pas
un écran de télé, et ainsi de suite".
En essayant de tout regrouper dans un même panier
au nom des sacro-saintes économies, plutôt
que de concentrer leurs efforts sur ce qui constituaient
leurs forces, les Vivendi, AOL et autres Quebecor se sont
cassés les dents. Et ils n'ont pas fini d'en (faire)
payer le prix.
Pascal Lapointe