La mondialisation aquatique
(ASP) - La moule zébrée, inconnue
en Amérique dans les années 80, envahit
maintenant nos cours deau et coûte 3 milliards
de dollars aux États-Unis. Pour solutionner ce
problème aux dimensions internationales, la Nouvelle-Angleterre
a créé une table de concertation
dont
le Canada était absent, lors de la première
réunion.
Le cas de la moule zébrée
nest pas unique, rappelle Yves de la Fontaine du
Centre St-Laurent, un organisme de recherche fédéral.
Il travaille en ce moment sur une espèce décrevisse
américaine qui est en train de faire disparaître
les espèces indigènes dans le fleuve et
le Richelieu. En fait, on dénombre, dans le fleuve,
pas moins de 85 espèces aquatiques introduites
au fil des ans (plantes, mollusques, crustacés).
En 1996, ladministration Clinton passait
une loi obligeant les États américains à
surveiller les populations de leurs eaux douces et salées,
pour mieux suivre et comprendre lapparition des
espèces exotiques qui peuvent parfois avoir un
impact environnemental et économique. En novembre
dernier, se réunissait pour la première
fois la Table de concertation du Nord-Est sur les espèces
aquatiques nuisibles (Northeast Aquatic Nuisance Species
Panel). Elle rassemblait majoritairement des représentants
dorganismes publics américains, mais aussi
plusieurs intervenants dassociations et de groupes
de pression. Plusieurs Canadiens ont été
invités, mais seulement deux représentants
d'organismes non-gouvernementaux se sont pointés,
dont Lara Gibson, qui assume la vice-présidence
de la table de concertation. Elle travaille à Halifax
pour Ecology Action Center, organisme qui sintéresse
aux espèces aquatiques introduites.
Dans le but de sensibiliser les dirigeants
politiques, une présentation sera faite, par cette
table de concertation, à la prochaine conférence
des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre et des premiers
ministres de lest du Canada, qui aura lieu à
Québec en août 2002.
Le rôle de cette table est en effet,
en premier lieu, dinformer et de sensibiliser le
public aux problèmes des espèces introduites.
Elle devra aussi faire la liste des ressources côtières
et des projets scientifiques en cours. Elle proposera
des politiques pour empêcher l'introduction de nouvelles
espèces.
Selon Yves de la Fontaine, on estime généralement
que 15 % des espèces introduites peuvent avoir
des impacts néfastes: déstabilisation des
écosystèmes, voire disparition des espèces
indigènes. La salicaire, par exemple, est une plante
exotique qui envahit tous les milieux fragiles, ne laissant
aucune chance aux autres plantes. La moule zébrée
a remplacé dautres espèces de moules.
Mais elle provoque aussi dautres inconvénients :
elle se fixe sur tout ce qui est solide, colmatant les
tuyaux, bloquant les moteurs. Dans le Golfe St-Laurent,
le crabe vert européen, dont la voracité
est notable, semble conquérir rapidement du terrain
aux dépens des crabes, des palourdes et des huîtres
-toutes des espèces commerciales. Enfin, les espèces
introduites peuvent être porteuses de virus ou de
parasites contre lesquels les espèces indigènes
n'ont aucune parade.
Comment des espèces, parfois extrêmement
sédentaires, peuvent-elles se retrouver à
des milliers de kilomètres de chez elle ?
Près de la moitié (45 %) proviennent des
navires: ceux-ci transportent de leau dans leurs
ballasts, qui servent à les stabiliser. Lors de
la vidange des ballasts, plusieurs espèces, autant
faunique que végétales, peuvent être
larguées en même temps
et ainsi, se
découvrir un nouveau domicile! Les piscicultures,
du saumon par exemple, sont aussi responsables de disséminations.
Enfin, 10% des espèces ont été introduites
délibérément, soit pour tenter de
régler un problème écologique, soit
par intérêt économique. La carpe,
dont des milliers sont mortes dans le fleuve cet été,
est une espèce introduite par lhomme au début
du siècle dernier.
Au Canada, le ministère des Pêches
et Océans travaille déjà sur une
réglementation qui obligerait les navires à
vider leurs eaux de ballast en haute mer. Mais que devront
faire les caboteurs qui ne vont jamais en haute mer ?
Il est aussi question de traiter ou de filtrer les eaux
de ballast, mais une telle réglementation demande
une coordination internationale et beaucoup dinvestissements.
Enfin, on ne connaît pas grand-chose
sur les espèces introduites dans le fleuve. On
a dénombré les plus grosses, mais nos connaissances
sur les bactéries et les algues microscopiques
sont nulles
ce qui ne les empêche pas de perturber
nos cours deau.
François d'Allaire