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Une jeune femme vêtue à la mode des années 1940 repasse des vêtements. Elle se trouve soudain dans un atelier industriel à limer une pièce de métal. La technologie a-t-elle un sexe ? Les documentaires de propagande de la Seconde Guerre mondiale nous donnent plusieurs indices à cet effet.

À l’usine Mesdemoiselles

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Le Canada était entré en guerre au côté de la Grande Bretagne et de ses alliés. Il fallait vaincre l’Allemagne. La Seconde Guerre mondiale reposait sur la supériorité industrielle. Depuis la production d’armements, d’obus et de munitions, jusqu’à la construction navale, aéronautique et automobile, tout un chacun retroussait ses manches.

Or, pour faire tourner cette industrie, il fallait de la main d’œuvre. Il fallait des mains pour assembler des composantes; il fallait des mains pour monter des pièces; il fallait des mains pour opérer les procédés. Or, les soldats, des hommes, combattaient au front. Et voilà que des femmes, pour les remplacer, se rendirent travailler tous les jours à l’usine, et en plus grand nombre que par le passé.

Bien avant la guerre, les femmes avaient progressivement, non sans avoir bravé des préjugés sexistes, participé à la force de travail. Les unes vendaient des produits dans le commerce de détail et dans les grands magasins à rayons. Les autres enseignaient dans les écoles. D’autres encore confectionnaient des vêtements à la pièce ou assemblaient des chaussures dans les manufactures. La guerre allait faciliter leur entrée dans l’industrie.

Comme à la maison

Que peut bien faire une femme dans l’industrie ? Une série documentaire, « En avant Canada », produite par l’Office national du film (ONF), nous en donne un aperçu. Deux documentaires, en particulier, illustrent l’idée que l’on se faisait du rapport de la femme à la technique. Écoutons quelques extraits qui apparaissent curieux aujourd'hui.

Dans À vous mesdames , de Nicholas Balla (1946), un homme d’âge mur tente de se convaincre que les femmes, malgré leur nature si particulière, en dépit de leur rôle domestique, peuvent maîtriser les techniques et les machines industrielles. À chaque métier qu’il passe en revue, le narrateur ne manque pas d’établir des analogies entre les habiletés à la maison et sur le lieu de travail :

« Risquant l’explosion mortelle sans autre protection qu’un voile sur leur visage, les femmes chargèrent les détonateurs d’obus ; et, dans les recherches scientifiques, c’est sans émoi qu’elles manipulèrent même des rats. Au chantier naval, je vis de bonnes mères de famille jouer avec des rivets brûlants, aussi bien qu’elles le faisaient avec des crêpes. »

Pour le narrateur, il est surprenant de voir des femmes manipuler des rats dans les recherches scientifiques, elles qui d’habitude poussent des cris dès qu’elles en voient sortir de leur trou. Et il est tout aussi étonnant que les techniques de fabrication des crêpes puissent servir au montage de pièces d’acier sur les chantiers navals !

Un monde nouveau

Les analogies avec l’univers domestique étaient plus fortes dans Femmes dans la mêlée , de Jane Marsh (1942). Le documentaire commente la situation des Anglaises, qui ne ménageait pas leurs efforts : « Elles abandonnèrent leurs travaux domestiques pour rentrer à l’usine. Elles apprirent la mécanique et y apportèrent une finesse de doigtée qu’elles avaient apprises à la maison. »

Pendant ce commentaire, la caméra superpose habilement, dans un jeu de fondu d’images, une femme en train de limer une pièce métallique et la même en train de soigner du linge au fer à repasser ; et une femme en train d’ajuster un tour mécanique et la même en poste à sa machine à coudre. Les images superposent la posture du corps de ces femmes, à l’usine comme à la maison, pour nous convaincre que le travail dans l'industrie peut être un prolongement du travail domestique.

Plus loin, on donne des exemples de Canadiennes en aéronautique : « Les mains agiles de Marguerite Dupuis ont vite appris à manier des outils de précision. Jone Hunter construit des charpentes d’avion. » Marguerite soude des composantes électroniques avec un fer, et Joe se tient derrière une structure aéronautique. Soudain, des hommes, des superviseurs plus âgés, surgissent et s’emparent du travail de ces deux femmes, qui retirent aussitôt leurs mains de l’ouvrage. Un homme montre à Marguerite comment manier le fer à souder et la pince, tandis que Jone observe un autre homme s’assurer que le montage du cadre de l’avion est bien fixé. Les hommes demeuraient en contrôle de la technologie dans l'industrie.

Le retour à la normale

Jeunes, célibataires, sans enfant, les femmes accédaient au marché du travail dans l’attente d’une situation familiale convenable. Tôt ou tard, elles allaient se marier et fonder des foyers dans lesquels elles allaient jouer un rôle domestique adapté à leur nature. Les hommes, eux, se devaient de pourvoir aux besoins matériels de leur famille par l’exercice d’une occupation rémunératrice. Telle était la vision stéréotypée de l’époque. Elle ne disparut pas après la guerre. Bien au contraire.

Les choses allaient retourner à la normale. Dans À vous mesdames, le narrateur donne l’exemple de sa famille : « Aujourd’hui la famille de mon fils envisage la paix. Ma belle fille a repris sa vie d’épouse, mais une épouse encore meilleure et bonne citoyenne grâce à son expérience de temps de guerre. » Jane Marsh, qui produisit six de ces documentaires, notait cyniquement que les femmes qui travaillaient à l’ONF à la même période étaient « si reconnaissantes de réaliser un travail intéressant qu’elles ne réalisaient pas qu’elles étaient des esclaves. »

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