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Dans les années 1930-1940, on expliquait la capacité des rats à apprendre à retrouver leur chemin dans un labyrinthe selon le paradigme behavioriste dominant de l’époque basé uniquement sur la construction de liens entre des stimuli et des réponses comportementales. Quand le rat arrivait au bout du labyrinthe au bon endroit, une récompense alimentaire permettait de renforcer les connexions neurales derrière les associations qui avaient été nécessaires pour réussir la tâche, disait-on. Mais cette façon de voir les choses était incapable d’expliquer des observations étonnantes faites en 1948 par le psychologue américain Edward Tolman : des rats découvraient des raccourcis pour atteindre leur récompense dans des labyrinthes sans jamais y être  passé auparavant !

L’expérience se déroulait comme suit. Pendant quatre jours on place un rat devant un couloir de labyrinthe dont le trajet ne comporte aucun choix à faire pour l’animal. Il doit simplement suivre le couloir qui tourne d’abord à gauche, puis droite, et encore une fois à droite avant d’atteindre finalement une tasse de nourriture. Mais le cinquième jour, le couloir principal où il entrait normalement est bloqué. Mais il y a maintenant 18 nouveaux embranchements qui partent de part et d’autre du couloir principal pour se diriger vers la périphérie de la table (voir le dessin en haut de ce billet). L’animal commence alors à chercher des alternatives, dans quelques-uns des nouveaux couloirs, mais se décide tout à coup à entrer dans le sixième couloir à partir de la droite. Et c’est celui-là, et lui seul, qui mène directement à la nourriture !

Et c’est comme ça qu’un hypothèse alternative a vu le jour : les rats semblaient être capables de se construire une carte mentale de leur environnement, et ensuite de s’y référer pour trouver le meilleur chemin pour atteindre un point donné ! Avec cette nouvelle idée générale des « cartes cognitives » de Tolman, on admettait que même un cerveau de rat pouvait apprendre en faisant plus que de simples associations. Il lui était possible de faire ce qu’on appelle aussi des apprentissages latents. Son cerveau, et à plus forte raison le nôtre, construit, stocke et utilise constamment des cartes mentales. Autrement dit, des modèles du monde qui nous permettent de naviguer dans un environnement complexe et changeant. Des modèles qui peuvent être « révisables et adaptables » parce de simples associations sont souvent rendues obsolètes par les modifications de l’environnement.

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C’est une façon d’apprendre plus élaborée que le conditionnement associatif qui permet de passer à un autre niveau cognitif, si l’on peut dire. Elle allait ouvrir la voie à toute une série de découvertes. Celle de John O’Keefe, au début des années 1970, qui constatait que certains neurones de l’hippocampe devenaient plus actifs quand l’animal se trouvait dans à un endroit particulier dans sa cage, et pas ailleurs. Des « cellules de lieu » (« place cells », en anglais) dont l’augmentation d’activité pouvait renseigner l’animal sur l’endroit où il se trouvait.

Ou encore les cellules de grille (« grid cells », en anglais), découvertes dans le cortex enthorinal, qui est un peu la porte d’entrée de l’hippocampe, par May-Britt et Edvard Moser, au milieu des années 2000, et dont j’avais résumé les travaux lorsqu’ils ont eu le prix Nobel avec John O’keefe. Des neurones qui semblaient s’activer un peu n’importe où quand le rat se promenait dans la cage. Mais en cartographiant sur une longue période tous les endroits qui provoquaient une activation pour l’une de ces cellules, les Moser avaient constaté que la cellule faisait feu à intervalle régulier dans l’espace. Et que l’ensemble de ces points formait une véritable grille hexagonale quadrillant tout l’espace. Cela veut dire que lorsque le rat se déplace, différentes cellules de grille vont être successivement activées, à mesure qu’il va traverser les intersections de ces autres grilles légèrement décalées. Il devient alors possible pour l’animal d’enregistrer un véritable parcours mental, avec une direction durant une certaine distance, puis un changement de direction suivi sur une autre distance, etc.

Ces découvertes, et bien d’autres, ont révélé toute la complexité de notre système de cartographie mentale. Mais cette modélisation de l’environnement, ne va pas se limiter seulement à l’espace physique. On s’aperçoit de plus en plus que ces cartes mentales sont au cœur de facultés considérées « de haut niveau » chez l’être humain. Et cela va de trouver des raccourcis physique ou verbaux, à la déduction, au raisonnement abstrait en général, à la planification, à l’imagination ou même à la façon de « naviguer » dans notre réseau social comme l’expose un article du magazine Cerveau & Psycho de mars dernier qui m’a inspiré ce billet.

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