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La possibilité d’un jour modifier les gènes d’un bébé pendant la grossesse semble être devenue cette semaine moins hypothétique qu’on l’aurait cru. Mais en même temps, une autre question, plus large, fait son chemin : ceux qui pourraient être les premiers à vouloir profiter de cette technologie sont absents de la discussion.

Dès 2016, un sommet sur « l’édition du génome humain », tenu à Paris sous l’égide de l’Académie américaine des sciences, avait soulevé ouvertement cette question : si l’édition de gènes chez l’embryon, voire chez l’adulte, devenait un jour réalité — une perspective qui semblait déjà plus tangible avec les avancées rapides de la technologie CRISPR — qui seraient les premiers à en bénéficier ? En théorie, il s’agirait de tous ceux qui sont à risque de souffrir d’une maladie génétique, parmi lesquels les femmes forment une majorité, de même que les personnes handicapées et les habitants des pays en voie de développement, qui sont plus souvent affectés par certaines pathologies. Des groupes pourtant majoritairement absents de nos discussions, avait alors souligné la bioéthicienne britannique Jackie Leach Scully.

Or, on était rendu très loin de ces réflexions mercredi dernier, lorsque le chercheur chinois He Jiankui, 34 ans, de l’Université de la science et de la technologie de Shenzhen, est venu présenter en congrès le travail qu’il menait « en secret » et qui, depuis 48 heures, avait déjà plusieurs fois fait le tour du monde : la modification d’un gène chez deux foetus à un stade avancé de la grossesse.

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Que l’expérience ait réellement eu lieu ou non, que les deux soeurs jumelles soient une réalité ou non, on est très loin, avec un gène présumément modifié pour rendre ces bébés immunisés au sida, d’une modification génétique qu’une majorité aurait jugé prioritaire. Même les chercheurs présents mercredi à ce congrès, le Second Sommet mondial sur l’édition de gènes, tous des gens plus ouverts que la moyenne à la possibilité que l’édition de gènes devienne réalité, ont qualifié ce choix de douteux : le sida est une maladie qui peut être traitée, au contraire de beaucoup d’autres maladies, et la seule justification du Dr He Jiankui a été « l’ostracisme » dont souffrent en Chine les sidéens.

Indépendamment de ce choix, le directeur du comité organisateur du Sommet, David Baltimore, a qualifié « d’irresponsable » l’expérience — en raison des risques encore inconnus sur la santé des enfants et de l’absence de transparence du chercheur, qui n’a toujours rien publié.

Et pourtant, ce n’est pas un hasard si c’est en Chine que c’est arrivé, écrit dans le New York Times l’auteure Mei Fong, pour qui la politique chinoise de l’enfant unique aurait contribué à augmenter le seuil de tolérance face à l’eugénisme — un mot qui désigne l’ensemble des méthodes pour produire des êtres humains « améliorés ».

L’expérience sans précédent de la Chine en matière de reproduction, qui a officiellement pris fin en 2015, a créé un peuple habitué — dans plusieurs cas, par la force — à contrôler le nombre et le genre de ses enfants. La politique de l’enfant unique avait été créée officiellement pour ralentir la croissance démographique, mais les dirigeants chinois n’hésitaient pas à exhorter le peuple à réduire la quantité pour améliorer la qualité.

« Il y aura quelqu’un, quelque part, qui le fera », se défendait le Dr He en entrevue mardi à l’agence de presse internationale AP. « Si ce n’est pas moi, ce sera quelqu’un d’autre. » Mais au profit de qui et suivant quels critères ? Même la façon dont a été obtenu le consentement des parents a suscité beaucoup de questions dans la salle mercredi, mais ces questions, rapporte la journaliste du magazine médical StatNews, ont obtenu peu de réponses satisfaisantes.

Le fait est qu’une partie de l’humanité est rendue plus loin que plusieurs ne veulent l’admettre, poursuit Mei Fong, auteure d’un livre sur la politique de l’enfant unique.

En Chine, plusieurs personnes se sont déjà aventurées sur ce terrain. Même avant CRISPR, il était possible de créer de soi-disant bébés sur mesure en utilisant la fécondation in vitro et en sélectionnant les ovules de donneuses possédant les traits génétiques souhaités, comme la beauté ou l’intelligence. C’est ce que de riches Chinois ont fait depuis des années. La pratique est normalisée parmi les riches acheteurs de toutes nationalités, mais j’ai appris de cliniques de fertilité californiennes et de médecins là-bas que les clients chinois étaient souvent les plus directs et les plus exigeants, au point de faire doubler et même tripler les prix des ovules de donneuses d’Asie de l’Est.

Selon un sondage récent, une majorité de Chinois seraient favorables à l’édition de gènes pour traiter des maladies, et 24 % si ça permet d’améliorer l’intelligence. Outre-Pacifique, selon une enquête du Centre de recherche Pew réalisée en 2016, les deux tiers des Américains sont inquiets (« très » ou « plutôt inquiets ») face à de l’édition de gènes effectuée dans le but « d’améliorer » les capacités humaines — soit la même proportion qui sont inquiets face à d'éventuelles puces électroniques promettant d’améliorer les capacités intellectuelles. La moitié sont toutefois « enthousiastes » à des degrés divers, ce qui signifie qu’il y en a un certain nombre qui se disent à la fois enthousiastes et inquiets…

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