D’ici trois ans, les scientifiques auront décodé l’ensemble des 100 000 gènes humains et commencé à comprendre certaines de leurs interactions. Quelle en sera l'utilité? De l'argent, beaucoup d'argent!

On sait d'ores et déjà qu'une connaissance de plus en plus pointue du génome apportera une véritable révolution dans le monde des médicaments. Une meilleure compréhension du génome des plantes et des animaux bouleversera également l’agro-alimentaire.

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Pour le moment, ces révolutions semblent vouloir se faire sans le Canada, puisqu’ici, on soutient très peu la recherche en génomique, cette science qui étudie les groupes de gènes de tout organisme vivant. Mais la perspective de débouchés commerciaux pourrait changer les choses. Dans le seul secteur pharmaceutique, très présent dans la région montréalaise, les traitements médicaux à développer font miroiter des milliards de dollars: médicaments destinés à des cibles si précises que les effets secondaires seraient inexistants, traitements réparateurs de gènes, antibiotiques produits par des champignons génétiquement modifiés, outils diagnostiques capables de déceler l’origine d’une maladie dans l’infiniment petit, etc.

C’est en louchant vers ce haut potentiel d’emplois et d’investissements que les gouvernements pensent maintenant augmenter leurs contributions à la recherche en génomique qui, pour l’instant, ne dépassent guère le million $ par année. À lui seul, le prochain budget du ministre canadien des finances, Paul Martin, devrait y consacrer 250 millions$ sur cinq ans. C’est du moins ce qu’attendent les promoteurs de Génome Canada, une corporation sans but lucratif mise sur pied par des gens d’affaires et des chercheurs, qui propose une structure nationale de services et de recherche en génomique. Le groupe compte déjà sur des engagements financiers de l’industrie pharmaceutique de l’ordre... d’un milliard$ sur cinq ans.

Les différents éléments se mettent en place, rapporte Thomas Hudson, chercheur de pointe dans le domaine, qui mène sa carrière à la fois à l’université McGill et au Massachusetts Institute of Technology (MIT), de Boston. Tout semble prêt pour une mise au monde imminente.

Des outils et des cerveaux

Génome Canada regrouperait six centres hautement spécialisés, les premiers à ouvrir étant situés à Montréal, Toronto et Vancouver. Ils seraient complémentaires et emploieraient quelque 500 scientifiques. , explique Martin Godbout, porte-parole de Génome Canada. Cela stimulerait les groupes déjà en place et favoriserait l’émergence de nouvelles équipes de pointe, permettant au Canada de prendre sa place dans la course à la commercialisation.

Car là où il y a investissements, il y a bien évidemment rêves de commercialisation, que ce soit en santé, en environnement, en agriculture (les fameux aliments transgéniques), en foresterie et dans le domaine des pêches, estime M. Godbout.

Actuellement, le Canada traîne la patte à côté des autres pays du G7 qui, tous, ont mis la main à la pâte du décryptage du génome humain ainsi que des génomes de nombreux organismes plus simples (bactéries et insectes). Certes, des chercheurs d’ici ont collaboré à cette aventure... mais en s’expatriant. nous avons raté le bateau du décodage du génome, il ne faut pas manquer le suivant, soutient Thomas Hudson: une fois le décodage complété, en 2003, il restera en effet aux chercheurs du monde entier à comprendre à quoi servent la plupart de ces gènes, comment fonctionnent les séquences génétiques, la signification de leurs variations; c'est cela qui mènera à la mise au point de produits commercialisables.

La variation des séquences devrait être un champ particulièrement fertile, au Canada. En effet, à des époques diverses, des groupes relativement restreints d’immigrants français, britanniques ou ukrainiens ont eu une nombreuse progéniture, respectivement au Québec, à Terre-Neuve et dans les Prairies. Pour les chercheurs en génomique, c’est là une occasion unique d’établir des liens entre une variation particulière des gènes et certaines maladies comme l’asthme ou le glaucome, dont on sait qu'elles affectent plusieurs personnes d'une même famille.

Par ailleurs, une partie du financement de Génome Canada serait dirigé vers le questionnement éthique. , considère Martin Godbout.

Génome Québec

Au Québec, le projet de créer un des six centres du futur Génome Canada prend déjà forme. Un grand nombre d’instituts de recherche appuient l’idée d’un centre éclaté, où chacun assumera une partie des tâches assignées au centre et tirera avantage de la mise en commun de coûteux instruments. Le secteur de la santé serait particulièrement ciblé, avec quelques pointes du côté de l’agriculture et de la foresterie.

Certains sont déjà bien engagés dans le domaine. Mais selon lui, ces chercheurs ont peu de chances de survie si aucune volonté politique ne vient les soutenir.

M. Simard est ce chercheur du Centre hospitalier de l’Université Laval qui a récemment identifié, de concert avec une équipe de Toronto, un gène associé au cancer du sein, le BRCA2. «Après avoir été financées pendant des années, leurs recherches ont atterri sur la table de travail d’une compagnie américaine, Myriad, parce que le Canada ne possédait pas les instruments de recherche sophistiqués qui allaient permettre de franchir les derniers pas vers la commercialisation.» C’est donc la compagnie américaine qui a mis en marché la trousse diagnostique, laissant peu de retombées économiques de ce côté-ci de la frontière…

Louise Desautels

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