On ne cesse de parler du décodage du génome humain, mais il est loin d'être seul. À ce jour, on a mis à nu les génomes entiers de quelque 900 êtres vivants. Et il s'en ajoute pratiquement un nouveau chaque jour.

Parmi eux, 557 virus, dont les génomes sont d'une importance cruciale dans la fabrication de nouveaux médicaments, 112 bactéries dont la fameuse E. Coli, le ver caenorhabditis elegans, la souris domestique, la vache… Et plein d’autres —certains encore partiels, d’autres non - tels l’alligator du Mississippi, la mouche à fruits, le riz, etc. L'avenir de la génétique est là: dans ce que les experts appellent d'ores et déjà la génomique comparée.

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Sur Internet, le site du NCBI, le National Center for Biotechnology Information (www.ncbi.nlm.nih.gov), visité par les chercheurs du monde entier, contient tous ces génomes, que l’on peut non seulement consulter mais aussi télécharger gratuitement ! S’y promener, même pour un profane, permet de prendre la mesure de ce qu’est devenue aujourd’hui la génétique. Un univers qui n'a plus rien à envier à l'astronomie pour son gigantisme.

Mais en quoi ce décodage de génomes d’espèces aussi différentes est-il important pour nous?

Des souris et des hommes

Tout d’abord, nous avons besoin des génomes animaux pour valider l’exactitude des "lectures" que l’on fait du génome humain. Car il existe des portions de nos chromosomes où le décodage est plus ardu. On a donc recours à la comparaison de génomes d’autres espèces, espérant que des "patterns" chez eux donneront des indices pour lire ce qui est nébuleux chez nous. Ainsi en va-t-il de la souris, ce mammifère avec lequel nous partageons presque le même nombre de gènes — 30 000 — ainsi qu’un patrimoine d’ensemble à 95 % similaire.

Sommes-nous pour autant un peu souris ? "Ce n’est pas si simple", explique Jean Morissette, bio-informaticien au Centre de recherche en endocrinologie moléculaire et oncologie du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL). Au cours des années 90, ce chercheur fut parmi un petit groupe de scientifiques québécois à s’illustrer sur la scène internationale en participant, via une équipe française — Généthon — au vaste Projet génome humain.

"Il ne suffit pas de posséder les mêmes gènes qu’une autre espèce, ou le même nombre, pour s’en rapprocher." Ces gènes ont beau faire les mêmes choses chez l’un et chez l’autre, leur organisation peut être différente. Deux gènes qui se suivent sur un chromosome humain, le 1 par exemple, peuvent, chez la souris, se retrouver sur deux chromosomes différents. De plus, ces gènes peuvent se ressembler sans être à 100 % identiques. "Il faut aussi tenir compte de l’interaction que chaque gène entretient avec les autres, de même que des protéines que chaque gène produit — et, encore là, des interactions qui se produisent entre ces protéines." Bref, un travail de moine!

Tous les organismes étant néanmoins issus d’un tronc commun, qui remonte à près de quatre milliards d'années, il n’est toutefois pas étonnant de constater nos "parentés" au niveau génomique. Le site du NCBI offre à ce propos une carte des multiples ressemblances entre le génome de la souris et celui de l’humain (cliquez sur Human/Mouse homology maps).

Connaissez-vous le tétraodon?

La génomique comparée ne s'avère pas seulement indispensable pour mieux interpréter notre patrimoine génétique. Elle sert aussi à le compléter! Car contrairement à l'impression qu'ont donné les annonces de cette année, le décodage du génome humain n’est pas encore fini. "Malgré tout ce qu’on a annoncé au cours des derniers mois, il reste encore, à décoder, 15 % du génome humain, dit Jean Morissette. Ce sont des fragments d’ADN encore "illisibles" pour les chercheurs, et à ce point récalcitrantes que les techniques de décodage actuelles ne fonctionnent pas."

Pour y arriver, une des solutions mises de l’avant par le grand Centre de séquençage français, Genoscope (www.genoscope.fr), est de décoder les génomes de deux… poissons. Des poissons asiatiques : le fugu et le tetraodon. "Ces deux poissons ont la particularité d’avoir des génomes sans trous, c’est-à-dire des génomes ne présentant aucune séquence où il n’y a pas de gènes", dit Jean Morissette. En effet, contrairement à l’humain où 90 % du génome est vide de gènes, chez ces poissons, les gènes se suivent sans intervalle, à la queue leu leu.

Qui plus est, comme le tétraodon (voir photo) ne compte que 380 000 paires de bases d’ADN (comparativement aux 3 milliards de l’humain), son décodage avance assez rapidement.

Génomique et antibiotique

Cette quantité astronomique de données permet aussi d’entrevoir un petit pan de cette médecine génétique dont on nous parle tant : celle qui se situe au niveau du développement des médicaments.

Ainsi une entreprise montréalaise, créée il y a quatre ans par des chercheurs de l’Université McGill, Phage Tech Inc., fait actuellement dans la génomique microbienne ! "Nous nous intéressons particulièrement aux phages, un type de virus qui attaque les bactéries, explique le bio-informaticien Vincent Ferretti. Nous sommes à décoder les génomes de plusieurs dizaines de phages afin de voir, dans l’ensemble de leurs gènes, quels sont ceux qui gouvernent le mécanisme de destruction de la bactérie : les gènes dits "tueurs"."

Travaux d’Hercule ? Pas tant que ça. Décoder le génome d’un phage revient à identifier au total une soixantaine de gènes disséminés dans 50 000 paires de bases d’ADN.

"Une fois ces 60 gènes identifiés, poursuit Ferretti, on les fait s’exprimer, l’un après l’autre, dans une bactérie donnée. On peut ainsi discerner, au bout de tout ça, lequel (ou lesquels) est effectivement le gène tueur."

Ce gène connu, il restera toutefois à fabriquer une molécule équivalente au gène de destruction, molécule qui deviendra l’élément actif d’un nouveau médicament. Celui-ci sera finalement commercialisé et prescrit pour lutter contre la ou les maladies qu’engendre cette bactérie (pneumonie, tuberculose ou autres).

"En ce moment, on s’intéresse beaucoup aux phages qui seraient particulièrement efficaces contre des bactéries à l’origine de maladies multiples, et dont on a noté une résistance aux médicaments connus. Dans ce contexte, la synthèse du mécanisme de destruction, revient ni plus ni moins qu’à mettre au point un nouvel antibiotique !"

Et c’est ainsi que la connaissance des gènes ouvre encore une autre porte: la pharmaco-génétique, ou fabrication de médicaments à partir des génomes de tel et tel organisme. Moment important pour l’humanité : une nouvelle médecine, encore balbutiante, est en effet en train de voir le jour, entre les génomes de milliers d'espèces différentes et au milieu des gigantesques mémoires d'ordinateurs où s'accumulent petit à petit ces masses phénoménales de données. C’est cette nouvelle médecine qui nous accompagnera tout au long du 21e siècle.

Luc Dupont

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