Le troisième mot d’un petit garçon, après les indispensables "Papa" et "Maman", c’est "vroum", un mot qu’une petite fille n’emploie jamais.

Dès leur plus jeune âge, les filles et les garçons se distinguent en effet par les mots qu’ils emploient et l’étendue de leur vocabulaire. Un phénomène complexe où les orthophonistes tentent de distinguer les causes biologiques et le rôle de l’environnement.

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Natacha Trudeau et Ann Suton, chercheuses à l’Université de Montréal, entreprennent une vaste étude du langage chez les enfants franco-québécois de 8 à 30 mois. Elles veulent définir des références qui permettent ensuite d’évaluer si un enfant est en retard ou en avance. On connaît déjà bien la situation aux États-Unis, mais les choses varient tant d’une culture et d’une langue à l’autre qu’il était nécessaire de produire une étude spécifique au Québec. Caroline Bouchard s’est joint à l’équipe pour étudier le cas particulier des différences filles-garçons... et elle n’a pas été déçue !

Plus de mots chez les filles

Deux différences étaient notables. Tout d’abord, le nombre de mots connus. " Les filles avaient un vocabulaire plus riche que les garçons dès 16 mois, explique Caroline Bouchard. Un écart d’une trentaine de mots. Les garçons les rattrapent vers 28 mois. "

Ensuite, les mots qu’ils connaissent ne sont pas les mêmes. Les garçons ont leurs mots propres, comme " tracteur " ou " tchoutchou ", des mots qui n’apparaissent pas dans les 100 premiers mots appris par les filles. Celles-ci n’ont pas vraiment de mots qui leur soient réservés. " Les garçons ont un vocabulaire plus stéréotypé " commente la chercheuse.

" 83% des mots sont tout de même communs aux garçons et aux filles, même s’il y a un décalage temporel dans leur acquisition " nuance-t-elle.

Très précoces, les bébés!

Dès 10 mois, un bébé peut apprendre un mot. Mais contrairement à ses aînés, seulement s’il est intéressé par l’objet qu’il désigne.

Des chercheurs de l’Université Temple (Pennsylvanie) ont mis un groupe de bébés face à un objet intéressant (bruyant et coloré) qu’ils montraient et appelaient d’un nom imaginaire. Lorsque le chercheur prononçait un nouveau mot imaginaire, les bébés cherchaient du regard un nouvel objet, mais en réentendant le premier nom, 80% des enfants tournaient à nouveau leur regard vers l’objet. Comme quoi le mot et l’objet étaient déjà associés dans l’esprit de l’enfant.

Inné ou acquis ?

L’explication s’avère complexe. On pourrait résumer : un peu de biologique, beaucoup de culturel. L’organisation du cerveau, légèrement différente, les hormones et l’arrivée à maturité du cerveau des filles avant celui des garçons, sont autant d’hypothèses qui peuvent expliquer partiellement les différences.

Mais pour Caroline Bouchard, l’essentiel vient de l’environnement où vit et apprend l’enfant. Très tôt, les garçons sont plus stimulés sur le plan physique alors que les filles sont poussées verbalement. On sait en particulier que les mères parlent plus à leurs filles qu’à leurs fils. Les filles jouent aussi davantage à des jeux de rôles (jouer à la famille) où elles utilisent le langage, au contraire des simulations de lutte que préfèrent les garçons. Voilà qui explique le vocabulaire plus étendu des filles.

Quant aux différences dans les mots utilisés, elles viendraient des rôles qu’on attribue aux enfants. "  Les garçons subissent une forme de pression pour agir conformément à leur sexe, explique la chercheuse. Une fille qui prend un camion ne sera pas vraiment critiquée alors qu’on fera comprendre à un garçon par le verbal ou le non-verbal qu’il ne doit pas jouer avec une poupée. "

" Pour moi, s’il existe des aspects biologiques, ils ne font qu’atténuer ou renforcer les aspects sociaux.  Les différences biologiques entre les sexes peuvent être la base à partir de laquelle construire les différences culturelles. "

Et la recherche a bien des difficultés à les départager, quand dès leur plus jeune âge les enfants sont influencés par leur environnement.

Mais pour Natacha Trudeau, la recherche en orthophonie se doit de tenter de le faire, parce qu’elle est au service de la discipline clinique." Et comment pourrait-on penser intervenir et modifier des comportements qui seraient entièrement déterminés à la naissance ? " Il faut isoler les aspects dus à l’environnement dans lequel vit l’enfant, car c’est sur eux qu’on peut mieux agir pour optimiser la communication humaine.

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