« Qu’est-ce que c’est ? », ai-je demandé à Stéphanie en montrant la pierre que je venais de déterrer. « Ça, c’est ton premier artefact ! » a répondu l’étudiante en archéologie. J’ai ressenti un grand frisson. Ça n’avait rien à voir avec le temps humide et venteux de ce jour d’automne. L’éclat de taille de pierre que je tenais valait pour moi son pesant d’or : il était vieux de 6000 ans.

Quelle chance ! Dès ma première expédition en compagnie de l’archéologue Jean-Yves Pintal et de l’étudiante Stéphanie Simard, je trouve un artefact. Et tout ça, dans un lieu situé à peine à une heure du centre-ville de Québec.

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Munie d’une pelle et d’une truelle, j’accompagne mes guides dans la forêt à proximité de la réserve de Cap-Tourmente. Winston Kelso, à l’origine de ces recherches, nous accompagne. Il y a quelques années, il a découvert dans cette région de Charlevoix, en pleine forêt, des pierres curieusement disposées. Alerté, le ministère de la Culture à Québec a ordonné que l’on fouille le territoire. Le trio en est à sa cinquième mission.

Dans ce territoire encore peu étudié, on a trouvé des indices du passage des Amérindiens qui remontent à 8 000 ans et des vestiges de colonisation vieux de 200 ans. Pour Stéphanie, le plus impressionnant, c’est la présence des traces des deux populations dans l’humus à quelques centimètres à peine. Comme elle l’explique, « il suffit d’ôter une motte de tourbe pour tomber sur des objets vieux de 8 000 ans alors qu’en ville les objets qui remontent à 1850 à peine sont enfouis sous trois mètres de remblai. »

Les replats, les archéologues ne pensent qu’à ça

Dès ma première sortie, je m’initie à l’ABC de l’archéologie : comment repérer un site. Tout en marchant, on scrute le terrain à travers les arbres à la recherche d’espaces susceptibles d’avoir été colonisés. Une astuce : fouiller les espaces plats, plus souvent appelés « replats » dans le jargon des archéologues. Un filet d’eau ? On le suit en espérant trouver le replat idéal. Plusieurs fois dans la journée, on arpente la forêt vers ce qu’on croit être un site prometteur. Et presque autant de fois, Jean-Yves Pintal déclare : « C’est beau de loin, mais c’est loin d’être beau ! » Le site est détrempé, trop en pente ou de superficie trop restreinte. On reprend alors la marche, trimballant nos pelles, à la recherche du prochain replat.

Le hic en forêt, c’est qu’on n’y creuse pas comme dans un jardin. Chaque coup de pelle dans l'humus frappe un enchevêtrement de racines, de roches et de cailloux. Aucun coup ne peut être franc. De quoi tester la persévérance et la patience. Ne rien trouver dans un sondage ou après une journée peut aussi être démoralisant. Imaginez une semaine, un mois, un été. C’est ça, l’inventaire archéologique !

Le hameau énigmatique

Le lendemain, le trio m’amène sur un site connu déjà fouillé, mais soulevant une énigme encore non résolue. À cet endroit, sur une grande superficie, plusieurs carrés de maisons et d’alignements de pierre ont été découverts. Pourtant, explique l’archéologue, on trouve peu de restes ou d’artefacts. Comme si les gens y avaient peu séjourné.

L’historien Robert Côté du Groupe de recherche en histoire du Québec s’intéresse à cette découverte. Aucune archive ne mentionne ce hameau. L’hypothèse d’un camp de bûcherons a été soulevée, mais des fondations en pierre seraient inhabituelles pour ce type d’occupation. « Et si c’était un campement de “bootleggers !” » suggère l’historien. Un endroit idéal en somme, perdu dans la forêt, pour transiter illicitement de l’alcool depuis le fleuve jusqu’au village de Saint-Tite en haut du cap. L’histoire d’un tel campement a bien peu de chances de se retrouver notée dans les archives, surtout que ce territoire appartenait alors au Séminaire de Québec… Une histoire à suivre.

Pour Jean-Yves Pintal, le territoire n’a pas livré tous ses secrets même si au début du siècle dernier la construction du chemin de fer en bordure du fleuve a détruit plusieurs sites. Les recherches se poursuivront l’été prochain.

À la sortie du bois, près de Cap-Tourmente, nous croisons quelques oies blanches qui retardent leur départ vers le Sud. Le vent du fleuve, puissant, nous fouette le visage et rend notre progression difficile. Quel territoire hostile ! Si on ne comprend pas encore les motivations de ceux qui s’y sont installés, on n’a d’autre choix que de penser qu’ils étaient courageux. Ça ne s’appelle pas Cap-Tourmente pour rien !

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