Une espèce sur trois serait menacée de disparition? Plantes et animaux confondus? C’est tellement gros qu’on hésite à y croire. Tellement gros qu’à ce stade, l’esprit humain perd toute capacité d’appréhender ce que cela représente. Essayons.

Vous avez chez vous un chien; des écureuils se promènent dans votre cour et un raton-laveur vient à l’occasion renifler les poubelles; la cour abrite un pommier, un lilas et un chêne; sur le chêne viennent se percher des moineaux, tandis qu’un pic-vert et un geai bleu vous rendent parfois visite. Un lierre s’accroche à la façade de la maison, du chiendent résiste aux efforts des pesticides et des marguerites complètent le portrait.

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Si, dans cet écosystème purement artificiel, une espèce sur trois disparaît, cela veut dire que vous ne verrez plus jamais de chien, ni de pommier, ni de geai bleu, ni de lierre. Mais le chiendent et les moineaux résisteront.

Transposons cela à l'échelle planétaire. La Terre survivrait? Certes, mais transformée à un point que nul ne peut imaginer. Depuis l’apparition de la vie, il y a plus de trois milliards et demi d’années, les experts estiment que la Terre est passée au-travers de cinq extinctions majeures —la plus récente étant celle qui a mis fin aux dinosaures, ainsi qu’aux trois quarts des espèces vivantes, il y a 65 millions d’années. La 6e extinction serait celle qui se prépare... ou qui est déjà commencée...

Et tandis que les cinq autres extinctions avaient été causées par des facteurs externes —volcans ou collision cosmique— la sixième extinction serait la première à avoir une cause « interne » : nous.

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a publié le 12 septembre l'édition 2007 de sa « Liste rouge » des espèces menacées, l’affirme haut et fort : l’humanité est la cause de la disparition appréhendée d’une espèce sur trois.

Qu'est-ce qui reste?

Seraient menacées de disparition: une espèce de mammifère sur quatre, une espèce d’oiseaux sur huit, une espèce de poissons sur quatre, une espèce d’amphibiens sur trois et 70% des espèces de plantes connues.

Et attention, le mot « connues » a une grande importance ici parce que, comme l’explique l’UICN, son évaluation ne peut pas prendre en compte les espèces non-recensées, ou celles pour lesquelles il n’existe pas encore d’études fiables sur l’évolution de leur population. Ce qui signifie que bien des espèces fragiles, reléguées à de petits écosystèmes, risquent de s’évanouir avant même d’avoir été recensées...

Sur 41 415 espèces recensées, 16 306 sont menacées d’extinction (il y a divers degrés de menace, certains moins graves que d’autres)... Une seule est passée d’une catégorie « critique » à seulement « en danger » : la perruche de l’île Maurice. Et encore a-t-il fallu pour cela mettre sur pied, ces dernières années, un programme rigoureux de conservation et d’élevage en captivité. C’est la seule bonne nouvelle de tout le rapport 2007.

« La Liste rouge de l’UICN de cette année démontre que les efforts déployés à ce jour pour protéger les espèces sont insuffisants », souligne la directrice générale de l’organisme, Julia Marton-Lefèvre. Un euphémisme.

Un survol de l’extinction

Parcourir la base de données (voir cette page) de l’UICN, c’est parcourir la biodiversité... tant qu’il en reste.

- Le nombre de reptiles recensés fait un bond en avant, passant à 738 pour l’Amérique du Nord et le Mexique, dont 90 en situation critique. - Les plus grands prédateurs ne sont pas en reste puisque huit espèces de vautours d’Asie et d’Afrique (vautour royal, vautour à tête blanche, etc.) ont droit à une nouvelle classification, dans une catégorie « critique ». En Asie, une cause de cette situation a été jugée assez claire par l’UICN pour être pointée : l’utilisation d’un médicament pour le bétail, le diclofenac. En Afrique, on cite le manque de nourriture... et la collision des vautours avec les lignes à haute tension. - Surgissent pour la première fois dans cette liste 10 espèces de coraux pour lesquelles d’autres chercheurs avaient depuis longtemps tiré la sonnette d’alarme —et l’UICN annonce déjà que des milliers d’autres pourraient s’ajouter à la liste l’an prochain. - Demeurent citées dans la Liste rouge des groupes charismatiques comme l’orang-outan de Sumatra, l’orang-outan de Bornéo (tous deux dans la catégorie « en danger critique d’extinction », et la déforestation dans leur région n’est pas prêt de finir) et le gorille de l’Ouest (passé de la catégorie « en danger » à la catégorie « en danger critique » : sa population a décliné de 60% depuis 25 ans). - Demeurent également citées d’autres espèces que leur anonymat rend encore plus vulnérables : qui, par exemple, est intéressé à financer le sauvetage du Po’o-uli? Il ne vit que sur l’île de Maui (Hawaii). En 1998, on n’en connaissait plus que... trois individus. Les biologistes désireux de les faire se reproduire en captivité n’ont pu en attraper qu’un. Il est mort en 2004. Les deux autres n’ont pas été revus depuis.

Le Po’o-uli représente l’exemple-type de l’oiseau qui pourrait passer un jour ou l’autre à la catégorie « en danger critique (possiblement éteint) ». C’est une « étiquette » qui n’est utilisée qu’après de nombreuses discussions. « Nous tendons à employer une approche très conservatrice », explique Craig Hilton-Taylor.

On frémit à l’idée de ce à quoi ressemblerait la Liste rouge si l’approche était moins « conservatrice »...

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