Quelles relations entretiennent la science et le jeu vidéo ? Si jusqu’à récemment, leur qualité scientifique n’était pas la préoccupation principale des producteurs — divertissement oblige – elle devient centrale pour le secteur des « jeux sérieux », les serious game, véritable passerelle entre industriels et laboratoires de recherches.

Le jeu sérieux, thématique présente pour la première fois au Sommet international du jeu de Montréal (SIJM), qui a lieu cette semaine, réunit chercheurs, universitaires, scientifiques, concepteurs et producteurs pour débattre de sujets aussi délicats que nouveaux : comment le définir précisément, comment le valider, quelles sont ses finalités, ses références scientifiques, etc.

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« Nous ne sommes pas tous d’accord sur sa définition. Disons qu’il s’agit d’un jeu qui a d’autres finalités que le divertissement, mais il peut être divertissant ! On est proche du ludoéducatif ! » explique Samuelle Ducrocq-Henry professeure au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Mais quoi qu’il en soit, tous les protagonistes s’accordent à dire que son contenu scientifique fait sa spécificité. « Et pas question de faire des concessions sur la rigueur scientifique au nom du e-marketing ! »

Souriez, c’est bon pour moi

Jeu scientifique ne veut pas dire jeu ennuyeux et inutile ! Prenez l’exemple de MindHabits, un jeu conçu par Mark Baldwin, PhD et professeur au département de psychologie de l’Université McGill. En pratiquant ce jeu régulièrement sur votre ordinateur, vous augmenterez votre estime de vous-même et votre résistance au stress, affirme-t-il. « Mes recherches démontrent que le stress est fortement relié à l’estime de soi. Si vous vous sentez critiqué ou peu apprécié des autres, vous avez deux fois plus de risque de tomber malade », explique Mark Baldwin.

« MindHabits joue sur trois procédés psychologiques : l’activation – faire émerger une idée positive de soi, l’association – l’association à un concept positif, et l’inhibition – rompre un processus de pensée négative. Le jeu composé de différents modules consiste à reconnaître, parmi une série de visages, celui qui sourit. Les études montrent que les joueurs ayant une faible estime d’eux-mêmes mettent plus de temps à repérer les visages souriants. L’idée est donc d’exercer le cerveau à reconnaître en priorité les visages souriants. »

Et ça marche. D’après les tests, il suffit de pratiquer 5 minutes par jour pendant une semaine pour améliorer son estime de soi et réduire son stress.

Des jeux au service des hommes

Dans le secteur de la santé, nombreux sont les jeux sérieux qui ont fait leurs preuves. À l’Institut des grands brûlés de l’Hôpital de Washington, on a remarqué par exemple que le seuil de tolérance à la douleur est modifié de 37 % à 97 % sous l’effet du jeu virtuel SnowWorld. Escape from Diab est pour sa part un jeu qui aide les enfants diabétiques à gérer leurs contraintes médicales.

Est-ce que le jeu pourrait remplacer la relation interpersonnelle avec un professeur ou un thérapeute ? « Pas du tout, répond Samuelle Ducrocq-Henry. Nos recherches montrent que le jeu est un soutien à l’apprentissage, mais pas un substitut ; cependant, il est une valeur ajoutée certaine. »

Conclusion convergente avec les résultats de recherche de Terry Lavender, diplômé de l’École des arts interactifs et de la technologie de l’Université Simon-Fraser en Colombie-Britannique. « J’ai conçu un jeu interactif afin de voir si le jeu pouvait modifier le comportement des joueurs. Mes résultats montrent que, dans le cas de mon jeu axé sur le problème des personnes sans domicile fixe, le comportement des joueurs ne change pas, mais la sensibilisation à leur cause est grandement modifiée », commente Terry Lavender.

Que les scientifiques mettent leurs connaissances au service du jeu ou que le jeu fasse appel aux compétences des chercheurs – comme dans le cas du jeu vidéo My Word Coach développé avec l’aide d’un linguiste par Ubisoft - l’industrie du jeu et la recherche ont tout intérêt à travailler main dans la main. « Si les sociétés de production s’intéressaient à notre savoir, nous pourrions les aider à développer des jeux vraiment bénéfiques pour les joueurs », conclut Mark Baldwin.

Et peut-être pourrions-nous rêver d’un monde où la violence serait bannie des jeux, preuves scientifiques de sa nocivité sociale à l’appui ?

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