1900. La tour Eiffel n’a que 11 ans, le Panthéon vient de souffler ses 110 bougies, et c’est l’Exposition universelle à Paris.

Se trouvent sur place, pour couvrir l’événement, un journaliste canadien-français, Trefflé Berthiaume (1848-1915), rédacteur en chef et propriétaire du journal La Presse, de même qu’un professeur de physique du Collège classique de Joliette, le père Louis-Joseph Morin (1869-1931). Montés avec d’autres spécialistes tout en haut de la Tour Eiffel, ils assistent aux démonstrations menées par Édouard Branly (1844-1940), l’un des principaux inventeurs de la télégraphie sans fil ou T.S.F. (technologie de laquelle naîtra la radiodiffusion). Branly répète alors l’expérience de la transmission de messages sans fil - «on air» comme disent les Anglais – entre deux antennes placées l’une sur le Panthéon, l’autre au sommet de la grande Tour.

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C’est sûrement à moment-là, sous les yeux éblouis de nos deux Canadiens français, qu’est planté un des jalons importants devant mener à la création de la radio à Montréal en 1922. En tout cas, c’est l’impression qui demeure une fois terminée l’entrevue avec M. Pierre Pagé, professeur associé à l’UQAM et auteur de l’ouvrage Histoire de la radio au Québec. Information, éducation et culture, disponible en librairie depuis peu.

1901: «Marconi: l’homme du siècle»

Une fois de retour à Montréal, le propriétaire-journaliste s’active. Il remplit des pages entières sur l’événement, certain de captiver un public vivant alors dans l’effervescence scientifique et technique qui marque le début du 20e siècle. «Ce qu’on ne saisit pas encore cependant, commente l’auteur, c’est que cet avant-gardiste, homme d’affaires, est en train d’écrire le premier chapitre d’une histoire qui liera désormais étroitement son journal, La Presse, avec le devenir de la radio à Montréal.»

L’année suivante, Marconi réussit pour la première fois dans l’histoire à faire traverser, entre l’Angleterre et Terre-Neuve, sur toute l’étendue d’un océan, une communication sans fil. Berthiaume – encore lui! — en profite pour réaliser une entrevue avec le célèbre physicien (qui sera sacré Nobel de sciences en 1909), et lui consacre la «une» entière de l’édition du 30 décembre 1901 de son journal. Le titre choisi est éloquent et visionnaire: Marconi: l’homme du siècle.

«Que ce soit le grand patron d’un journal qui lance dans le public cette technologie d’avant-garde, cela aura quelque chose de déterminant pour la suite, poursuit l’historien. Journaliste, Berthiaume est sensible aux technologies pouvant accélérer la circulation de l’Information. De plus, en faisant de Marconi un tel héros, il laisse voir ce qu’il pressent déjà lui, comme visionnaire: un nouveau monde en devenir, celui des télécommunications.»

1904: cinq journaux réunis par T.S.F.

Les développements rapides de la T.S.F. vont lui donner raison. En 1904, à l’invitation du père Louis-Joseph Morin des Clercs de Saint-Viateur, il fait ériger sur les terrains du Collège de Joliette un puissant transmetteur transatlantique. Cet équipement permet à la Presse de se lier à quatre autres journaux à travers le monde possédant la technologie de la T.S.F. – le Times de Londres, le Matin de Paris, le Star de St-Louis et le Times de New York – afin de pouvoir échanger avec eux, sans délai, des nouvelles à caractère international. «La radio au début, c’est la rencontre entre deux expertises, raconte Pagé: journalistique et scientifique». Plus un accident historique…

1912: T.S.F. et Titanic

Huit ans plus tard, équipé d’équipements de T.S.F., le Titanic lance désespérément le célèbre signal de détresse «S.O.S», espérant être reçu et secouru par des navires croisant dans les environs. La Presse — qui, grâce à sa propre T.S.F., avait pu obtenir rapidement la nouvelle de la catastrophe et la publier dès le lendemain. Elle rapportera trois jours plus tard ces mots définitifs: «La Science moderne au secours des naufragés[…] Les 868 personnes qui ont échappé au désastre du «Titanic» doivent la vie à cette invention nouvelle qu’est la télégraphie sans fil et l’univers entier comprend maintenant son immense importance.»

1922: La Presse crée C.K.A.C.

Dix ans après la tragédie du Titanic, ce 4 mai 1922 — alors que la technologie de la T.S.F. a encore évolué, tendant maintenant vers la radiodiffusion comme on la connaît aujourd’hui, alors que sont érigés au même moment dans les grandes capitales occidentales (Londres, Paris, Berlin, Moscou, New York), les premières stations de radio de l’histoire — il n’est pas du tout étonnant de constater que ce soit La Presse qui fonde la première station francophone en Amérique, dont les lettres d’appel seront et sont encore, 85 ans plus tard, C, K, A et C!

Pagé, Pierre, Histoire de la radio au Québec. Information, éducation et culture, Fides, Montréal, 2007, 492 p.

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