BOSTON - Quel est le plus grand danger qui menace la couverture journalistique des changements climatiques? Les médias eux-mêmes et leur culture du clip? Le risque que le public finisse par se lasser d’en entendre parler? Ou bien cette tendance qu’ont les journalistes à toujours prendre le parti de la victime?

La culture du clip

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Le changement climatique est effectivement l’un des pires sujets à vendre à un média, a expliqué hier Andrew Revkin, journaliste scientifique au New York Times depuis 14 ans. Revkin s’adressait alors à une salle essentiellement composée de scientifiques, dans le cadre du congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), qui avait organisé un atelier sur la couverture journalistique des changements climatiques. Et les scientifiques présents dans cette salle bondée auraient bien aimé savoir pourquoi les courants atmosphériques, les variations régionales des températures et la circulation thermohaline, entre autres passionnants sujets, ne se retrouvent pas plus souvent à la Une.

Parce que, leur a énuméré Andrew Revkin, « il n’y aura pas d’impact perceptible demain, parce que c’est une science difficile à faire comprendre, parce que ça entre en compétition avec le manque chronique d’espace et de temps... » Qui plus est, tout bon rédacteur en chef réclame pour sa première page une histoire « équilibrée » —les deux côtés de la médaille— et... de l’émotion. Le climat, ça ne fait pas une bonne photo!

N’empêche que les climatologues seraient malvenus de se plaindre. En dépit de tous ces obstacles, le climat a réussi à se tailler une place de choix dans les journaux, comme l’a rappelé Matthew Nisbet, de l’American University à New York, auteur d’une étude sur « Vingt années de changements climatiques dans l’oeil du public ». Son tableau —le nombre d’articles publiés dans le New York Times et le Washington Post— montre une ligne qui, frôlant le zéro pendant toutes les années 1980, vit une montée en flèche depuis 2004 —après avoir connu quelques « hauts », comme en 1991 avec le Sommet de Rio, mais surtout des « bas », de 1991 à 1998 et de 2002 à 2004, guerre d’Iraq oblige.

Une mode qui va passer?

N’y a-t-il pas un risque que la vague actuelle finisse par passer à son tour, lorsque les rédacteurs en chef —et les lecteurs— se seront lassés? Eh bien oui, c’est ce qui va se passer, admet Revkin, qui juge toutefois que les lecteurs n’y perdront pas au change : sa prévision, c’est qu’au cours des prochaines années, le réchauffement cessera d’être une « histoire », et que les journaux se concentreront plutôt sur les questions d’énergie.

Pour sa part, il estime être passé depuis longtemps au-delà de la couverture journalistique « classique » —des nouvelles, jour après jour, sans mise en contexte : avant même d’entrer au Times, Revkin avait eu le temps d’écrire cinq livres, dont un, The Burning Season, mettait en contexte, dès 1990, les questions économiques et environnementales; il a été traduit en neuf langues et a remporté de nombreux prix. Au Times, ce gagnant du Prix Pulitzer est décrit comme étant celui qui couvre « les questions environnementales dans leur contexte social et politique ».

Le risque du parti de la victime

David Dickson, directeur du média britannique SciDev, s’inquiète pour sa part d’un autre biais, méconnu des scientifiques, et que les journalistes préfèrent passer sous silence : « la coalition d’intérêts » qui se dessine entre organismes non-gouvernementaux et journalistes. « Tous les deux courent après le sujet qui aura le plus grand impact, veulent avoir la nouvelle qui frappera l’imagination... Greenpeace, Les Amis de la Terre, ont été des sources continues de nouvelles : ils savent trouver la bonne idée. Mais ces ONG ont eux aussi leurs intérêts, et les journalistes ont la responsabilité de s’en tenir loin. »

C’est que ces organismes veulent aussi ramasser de l’argent; et pour cela, ils ont tout intérêt à accroître la couverture journalistique de l’environnement, ils augmentent leur financement. Cela implique que les nouvelles qu’ils « créent » peuvent avoir un côté flamboyant, mais pas nécessairement méritant. Beaucoup de voyages de journalistes, à Bali l’an dernier ou à Montréal l’année d’avant, ont par ailleurs été payés par ces ONG, qui organisent aussi des bourses pour étudiants ou journalistes débutants.

La formule est indéniablement utile à notre époque où les médias sabrent dans leurs budgets, mais, note Dickson, « ça laisse un parfum de manipulation ».

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