Avec le décès la semaine dernière du romancier de science-fiction Arthur C. Clarke, les fils de presse ont souligné ses contributions les plus célèbres : 2001 l’odyssée de l’espace et son intuition, avec deux décennies d’avance, des satellites des communications. Mais son apport le plus important aura été, tout au long de sa carrière, ce réalisme scientifique qu’il a insufflé à la science-fiction.

Pas aussi célèbre que l’Américain Isaac Asimov, le Britannique Arthur C. Clarke mérite une place aussi élevée, sinon plus, au panthéon de la littérature. Non seulement parce que son écriture est parfois jugée plus lyrique —ou plus pompeuse— que celle de son distingué collègue mais surtout, parce que sa science est plus réaliste et ses univers, plus près des nôtres :

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- La proximité : là où Asimov a imaginé un empire galactique situé à des dizaines de milliers d’années dans le futur, Clarke a imaginé, dans les plus importants de ses écrits, des explorateurs de notre système solaire appartenant tout au plus à nos deux prochains siècles;

- Le réalisme : là où Asimov a créé des robots à visage humain sans trop se soucier du « comment ça marche », Clarke a créé un ascenseur spatial que les nanotechnologies commencent déjà à rendre plausible (Les Fontaines du paradis, 1979), imaginé un système de suivi des astéroïdes susceptibles de heurter la Terre (Rendez-vous avec Rama, 1973) dont une « version 1.0 » existe à présent, et un système informatique mondial que le père de l’Internet, Tim Berners-Lee, a cité comme une de ses sources d’inspiration (Dial F for Frankenstein, 1965, traduit en Qui est à l'appareil?).

Sans oublier l’ordinateur parlant et pensant de 2001, HAL qui, aussi inquiétant et inhumain soit-il, pourrait se situer dans un futur pas mal plus rapproché que les sympathiques robots d’Asimov...

Même ses récits « de taverne », moins connus en français (Tales from the White Hart, recueil de nouvelles, 1957), au cours desquels son délirant Harry Purvis, dont la solidité des compétences scientifiques n’a d’égal que la nébulosité de sa profession, accumule les histoires incroyables autour d’une bonne pinte de pière, sont chaque fois ancrés sur un fait scientifique tout à fait plausible —en apparence.

L’optimisme en la science était sa marque de commerce : la conviction qu’une connaissance ou une technologie peuvent faire le bien, « tant que les hommes posséderaient la sagesse et la volonté de (les) préserver ». Cet optimisme pouvait sembler suranné, depuis des décennies que les auteurs de science-fiction se sont ajustés aux peurs ambiantes —la guerre nucléaire, la catastrophe démographique, la destruction de l’environnement.

Ses personnages étaient aussi, pour cette raison, plus unidimensionnels : peindre un portrait réaliste de la course d’un astronaute risquant d’être cuit dur sur un astéroïde passant trop près du Soleil (Un été sur Icare, 1960) ou d’Américains plus tournés vers le passé que le présent alors qu’ils s’apprêtent à fêter le cinquième centenaire des États-Unis (Terre, planète impériale, 1975), correspondait davantage à ce qu’il aimait faire, que d’explorer les profondeurs de la psychologie.

Peut-être parce qu'Arthur C. Clarke voyait bien plus loin que presque tous les auteurs de science-fiction, anciens et modernes : là où beaucoup nous proposent encore des extra-terrestres dont la technologie ne nous dépasse que de quelques siècles, là où certains continuent d’imaginer des « galactiques » dont le mode de pensée ne nous est pourtant guère étranger, Clarke a esquissé, dans sa nouvelle La Sentinelle, dans son roman Les Enfants d’Icare et dans 2001, des abîmes se mesurant en millions d’années —au point où tout espoir de comprendre leurs motivations relève de l’utopie.

À la véritable échelle du cosmos, en somme.

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