L’ornithorynque pourrait être un travail de fin de session à offrir aux créationnistes. Si c’est le travail de Dieu, c’est un dieu bien maladroit qui ne savait que faire de toutes ces pièces de rechange. A lui tout seul, l’ornithorynque apporte plutôt la preuve de l’évolution dans ce qu’elle a de plus tordu.

Un bec de canard. Une fourrure de castor pour nager sous l’eau. Il allaite ses petits, comme les mammifères, mais il pond des oeufs, comme les reptiles. Rien qu’à l’oeil nu, on voit que l’ornithorynque est une bizarrerie de la nature. Voilà que son génome confirme qu’il est un mélange de plusieurs espèces. Et on peut commencer à suivre à la trace l’histoire de ces mélanges.

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« Un accident de l’évolution »? Pas si accidentel que ça, puisque son génome contribue à nous faire comprendre comment mammifères et reptiles se sont divisés, il y a au moins 165 millions d’années —conduisant aux serpents d’un côté, à nous de l’autre, et à l’ornithorynque qui est resté « entre-deux ».

Par exemple :

- l’ornithorynque a les mêmes gènes producteurs de protéines du lait que la vache et l’humain. Comme notre dernier ancêtre commun, à l’ornithorynque, à la vache et à nous, remonte à 166 millions d’années, il faut en conclure que la production de lait était inscrite dans les gènes, avant que cette division ne se produise. - Le gène SRY qui, chez tous les mammifères, sert à déterminer le sexe d’un futur bébé, est absent chez l’ornithorynque (plus précisément, il est là, mais sert à autre chose). Les scientifiques croyaient qu’il s’agissait d’un trait apparu il y a 350 millions d’années, lorsque les futurs oiseaux et les futurs mammifères s’étaient séparés (puisque ce gène est absent chez les oiseaux). Il serait donc beaucoup plus récent. - L’ornithorynque mâle produit un venin sur ses pattes de derrière, assez puissant pour tuer un chien. C’est une substance chimique similaire au venin des reptiles. Mais ce « cocktail » chimique provient de gènes différents de ceux des reptiles. Cela signifie que l’évolution, en deux occasions distinctes, a pourtant produit un résultat similaire.

Le génome —son décodage est le fruit d’une équipe d’une centaine de scientifiques dans huit pays— fait l’objet d’articles parus dans Genome Research et dans Nature; cette dernière lui a consacré rien de moins que sa page couverture.

« Je trouve fascinant que des aspects génomiques de ce qui sont deux lignées différentes puissent coexister dans le génome d’un seul organisme », résume le généticien Adam Felsenfeld, de l’Institut de recherche sur le génome humain à Bethesda. « Un amalgame incroyable de caractéristiques de mammifères et de reptiles, et de caractéristiques uniques d’ornithorynque », ajoute Jenny Graves, généticienne à l’Université nationale australienne —l’animal n’est présent qu’en Australie et dans l’île voisine de Tasmanie. Les comparaisons de ces gènes avec ceux des mammifères sont le début d’une quête sur « comment les gènes ont été conservés à travers l’évolution », complète Richard K. Wilson, du Centre de séquençage du génome à l’Université Washington du Missouri.

Pascal Lapointe

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