Présent dans notre vie sous diverses manières — en commençant par la voiture, des composés au carburant, jusqu’aux routes sur lesquelles elle roule —, il est difficile de faire l’impasse sur le pétrole, ce combustible fossile qui donne des produits dérivés aussi divers que des solvants, de la vaseline ou encore des engrais.

Des livres sur le pétrole et la crise énergétique, il y en a beaucoup, mais peu issus du Québec et s’adressant spécifiquement à sa population. Aujourd’hui, Normand Mousseau, professeur au département de physique de l’Université de Montréal, apporte son regard sur le sujet avec la publication de son premier ouvrage Au bout du pétrole/Tout ce que vous devez savoir sur la crise énergétique.

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ASP — Comment avez-vous eu l’idée d’écrire un livre sur le pétrole?

Normand Mousseau — J’ai lu de nombreux livres sur le sujet qui ne répondaient pas à mes questions, de plus aucun ne présentait la perspective canadienne et québécoise. J’ai tenté d’offrir une analyse plus fine en répondant à des questions précises dans une perspective plus globale avec la présentation des autres combustibles et des alternatives notamment. J’ai découvert que le principal problème n’est pas qu’il n’y ait plus de pétrole, mais que la production commence à chuter de manière irrémédiable et ne permet plus de réponde à la demande planétaire qui ne cesse d’augmenter. Que va-t-on réussir à extraire dans 100 ans, 5 % de ce que l’on extrait aujourd'hui? C’est un problème urgent et tout le monde doit s’ajuster!

ASP — Quel intérêt y avez-vous trouvé, à la fois comme physicien et comme vulgarisateur?

NM — Vulgariser permet d’aller derrière l’emballage et d’approfondir le sujet. Il y avait de nombreuses questions non traitées au sein de mes lectures, au-delà des questions économiques, que j’avais envie de creuser. Comme physicien, je suis habitué à chercher la réalité derrière les choses.

ASP — Vous avez d’abord décidé, comme le témoigne le premier chapitre de votre livre, d’y voir plus clair dans les chiffres...

NM — Comprendre les chiffres, c’est important. En 1985, les données montraient qu’il nous restait 40 ans de pétrole. En dépit d’une consommation qui s’accroit rapidement depuis 20 ans, le niveau des réserves a également augmenté de plus de 60 % depuis le milieu des années 80 ce qui fait qu’il resterait toujours 40 ans de pétrole! C’est fantastique, non? Si l’on annonçait un comportement similaire dans une publication scientifique, où la consommation et la découverte de nouveau gisement s’équilibrent de manière à assurer 40 ans de réserve année après année, personne ne me croirait. Comme scientifique, les chiffres ne m’énervent pas alors je peux analyser les données officielles et relever, sans hésitation, les incongruités. Je n’ai rien à perdre ou à gagner. Cela me permet d’avoir un regard indépendant sur la question.

ASP — Les 2/3 de la production de pétrole servent à alimenter le transport. Revoir cette consommation règlerait-elle une partie du problème?

NM — Le transport est un point central pour deux raisons. Il touche les gens au quotidien dans leurs déplacements, dans le prix des matières de base (plastique, etc.), mais tout changement majeur demande aussi un investissement massif et long (jusqu’à 50 ans) dans les infrastructures. Par exemple, le pont de l’autoroute 25 entre Montréal et Laval [attendu pour 2011] possèdera un tablier traversant la rivière des Prairies sans qu’il y ait de voie d’autobus ou de train, de piste cyclable ou encore de trottoir. Alors que dans 30 ans, le prix du pétrole risque d’être très élevé, le trafic sur ce pont se fera rare. Il n’est pas adapté aux besoins futurs; sans compter qu’avec les PPP (partenariat public privé), on risque de le payer deux fois.

ASP — Lorsque l’on parle de pétrole, on pense tout de suite à notre dépendance. Un bon exemple est l’agriculture...

NM — Ce sont surtout les pays en voie de développement qui risquent, du côté des denrées alimentaires, de souffrir de la situation de la hausse du pétrole. Si les prix sont multipliés par deux et que les familles consacrent 75 % de leurs revenus en alimentation — contrairement à 15 % pour les pays occidentaux —, cela conduit droit dans un mur. Dans la conjoncture actuelle, la production d’éthanol est une aberration dans les pays du sud, car une grande partie des terres agricoles sont ainsi détournées de l’agriculture destinée à nourrir la population.

ASP — Les réserves non conventionnelles de pétrole, tels les sables bitumineux, offrent-elles un espoir?

NM — L’exploitation des sables bitumineux est plus compliquée que l’on pense et s’avère dramatique pour l’environnement en raison de la pollution et de la dévastation écologique que cela va entraîner. L’Alberta manque aussi d’eau et cette exploitation consomme déjà 7 % de ressources aquatiques de la province, sans compter les dommages qu’elle risque d’entraîner aux nappes phréatiques. Les pétrolières produisent environ 1,2 million de barils de pétrole par jour à partir des sables bitumineux. Avec les problèmes que je viens de mentionner, il est peu probable que la production puisse augmenter encore de manière significative. Donc oui, les réserves non conventionnelles permettront de produire du pétrole encore longtemps, mais elles ne pourront compenser la diminution de la production de pétrole conventionnel.

ASP — On parle beaucoup de la diminution des réserves moins de l’exploitation du pétrole et de ses problèmes. Faisons-nous trop confiance à la science pour trouver des solutions?

NM — Nous sommes aveugles. Sans compter que nous n’investissons pas tant que ça dans la recherche de solutions alternatives. Les États-Unis se tournent vers le charbon, un autre combustible fossile. Le public fait effectivement trop confiance à la science… Développer une technologie ne se fait pas en criant « lapin », cela nécessite 10-15 ans de recherche en laboratoire, des investissements et une mise au point de la technologie qui peut prendre une trentaine d’années.

ASP — Avez-vous eu des surprises en écrivant ce livre?

NM — Je reste surpris par l’imminence du problème. C’est pour demain et personne ne fait rien. C’est épouvantable. Cela dépasse les gestes et les interventions individuels. Il est temps de faire pression sur les politiciens pour amorcer des solutions et investir dans les infrastructures facilitant les transports en commun, notamment le train. En prenant exemple sur la ville de Paris et son « vélo libre » ou les villes de Hollande où tout est accessible grâce aux pistes cyclables. Personnellement, j’ai investi dans une Smart et l’été, je circule en vélo!

Normand Mousseau est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada en physique numérique des matériaux complexes. Il se passionne pour la vulgarisation et collabore d’ailleurs depuis deux ans et demi au blogue de physique de l’Agence Science Presse.

Au bout du pétrole/Tout ce que vous devez savoir sur la crise énergétique, Normand Mousseau, Éditions MultiMondes, 2008, 156 pages, 24,95 $

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