Alors que s’ouvre la convention démocrate et qu’une campagne électorale s’annonce au Canada, il y a un sujet qui risque peu d’atteindre les écrans radars des politiciens : la science. Mais ne blâmez pas les politiciens : blâmez les scientifiques. Pour un James Hansen qui a eu droit à son coup d’éclat cet été, il y a une majorité silencieuse qui se mesure en millions.

Cinq millions de scientifiques et d’ingénieurs aux États-Unis, contre trois millions d’agriculteurs. Pourquoi les agriculteurs ont-ils tant d’influence à Washington, demande le journaliste Daniel Greenberg. Le gouvernement dépense pourtant 70 milliards$ par année pour la recherche, contre 17 milliards$ pour l’agriculture. Avec pareil fardeau pour les contribuables, les scientifiques ne devraient-ils pas se faire davantage entendre?

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La question est purement rhétorique, admet l’auteur de Science for Sale (2007), sur l'influence de l’économie dans la science. Traditionnellement, les scientifiques ont « fui toute implication politique organisée, la jugeant impropre et inappropriée pour leur profession ».

Avec quelques rares exceptions. Il y a deux mois, le climatologue James Hansen, 67 ans, prononçait un discours enflammé devant un comité de la Chambre des représentants, à Washington. Ce comité l’avait invité pour souligner le 20e anniversaire de son premier passage devant un comité du Sénat. Un passage qui, entretemps, était devenu historique, puisque c’est par ce discours, le 23 juin 1988, que le réchauffement climatique était entré pour la première fois dans l’arène politique.

Et la personnalité du Dr Hansen y était alors pour quelque chose : auteur de nombreux articles scientifiques sur le climat depuis 1981, conscient de l’opportunité rare qui se présentait à lui, il avait, en ce 23 juin 1988, soigné ses effets, présenté des données solides mais dans un langage clair, insisté sur le fait qu’il était « sûr à 99% » que les humains réchauffaient d’ores et déjà la planète... et obtenu en retour une couverture médiatique hors du commun pour un scientifique invité à parler devant un comité de la Chambre.

Cette année, celui qui dirige depuis 27 ans l’Institut Goddard d’études spatiales, affilié à la NASA, en a profité pour jouer encore plus la carte politique —lui que la Maison-Blanche a tenté à quelques reprises de museler ces dernières années. Dans son discours, il a lancé un appel à un engagement du gouvernement dans un programme massif de conversion aux énergies alternatives, et accusé les compagnies pétrolières de « crime contre l’humanité » pour s’être aussi longtemps opposées à toute forme de lutte contre les gaz à effet de serre.

Des déclarations qui n’auraient rien eu d’insolite pour un militant écologiste, un politicien ou même un économiste de gauche, mais qui ont provoqué un malaise parmi certains de ses collègues : tous sont d’accord avec le constat (l’humanité responsable). Mais certains se demandent si c’est le rôle d’un climatologue que de proposer des solutions en-dehors de son champ d’expertise.

Les scientifiques politisés

Reste que, en cette année d’élections présidentielles, les scientifiques semblent plus nombreux que jamais à s’agiter autour de la chose politique. L’initiative Science Debate 2008, qui milite pour la tenue d’un débat sur la science entre les candidats à la présidence, a obtenu des dizaines de milliers de signatures, en plus de l’appui d’à peu près toutes les associations de scientifiques des États-Unis et de 200 universités.

Sans se laisser démonter par le fait que le débat qu’elle demandait n’a pas eu lieu, Science Debate 2008 a été derrière la publication, dans le Wall Street Journal du 17 avril, d’une lettre signée par deux Prix Nobel, appelant à un engagement américain dans la science. La lettre était intitulée « We Need a Science White House ». En juin, le groupe publiait une liste de 14 questions à teneur scientifique, appelant les candidats McCain et Obama à prendre position sur la génétique, les gaz à effet de serre, l’exploration spatiale et la santé.

Un organisme fondé en 2004, Scientists and Engineers for America (SEA), a organisé en mai, à Washington, un séminaire d’une journée destiné aux scientifiques intéressés à se présenter aux élections. Comme le souligne placidement le rédacteur de SEA, le Congrès, à Washington, compte parmi ses élus trois physiciens, trois chimistes, un microbiologiste, deux dentistes, 13 médecins... et 215 avocats.

S’ils se présentent aux élections, ces scientifiques devront peut-être apprendre le pragmatisme, à en juger par la description que fait le journaliste Andrew Revkin (New York Times) de l’ambiance qui régnait dans cette salle du Congrès, lors du discours de James Hansen, le 23 juin dernier : « les jeunes personnes semblaient motivées par l’appel qu’il leur lançait à se mobiliser, à voter et à en recruter d’autres pour les aider à combattre en faveur du climat dont ils vont hériter. Les adjoints politiques et les fonctionnaires semblaient inconfortables, comme s’ils mesuraient la grande distance entre les recommandations du Dr Hansen pour le climat et les réalités de la politique et de l’économie. »

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