Le LHC est au 21e siècle ce que la Pyramide était à l’Antiquité. Ou ce que la cathédrale était au Moyen âge. Pas seulement à cause de son gigantisme (on laissera les irréductibles s’extasier devant les chiffres). Mais parce que le LHC partage avec ces monuments quelque chose de plus fondamental.

Dans l’immédiat, plusieurs observateurs disent que ça pourrait être le dernier de ces très gros et très coûteux projets scientifiques (9 milliards$): parce qu’on est maintenant dans l’ère où la science doit avoir des retombées tangibles, et qu’un accélérateur de particules, ça n’a pas de retombées tangibles.

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Les physiciens ne disent pas le contraire : le LHC, c’est, expliquent-ils, un effort pour faire reculer les frontières de la connaissance . À l’image de Galilée lorsqu’il a regardé dans son télescope. Ou de James Clerk Maxwell qui, à la fin des années 1800, découvrit l’électromagnétisme. Personne n’aurait pu prévoir que, derrière, se profilaient les ordinateurs et les iPod.

- Expédier des jets de protons à une vitesse presque égale à celle de la lumière afin que, en entrant en collision, ils génèrent une énergie fabuleuse : parce que c’est cette énergie qu’il faut désormais atteindre pour ouvrir une fenêtre au-delà des limites atteintes par nos connaissances.

- « Photographier » les conditions qui prévalaient un millième de milliardième de seconde après le Big Bang : parce que c’est ce que permettra l’ouverture de cette fenêtre.

C’est donc l’équivalent d’ouvrir une fenêtre sur un nouveau monde, comme Galilée l’avait fait : un monde composé de particules qui, jusqu’ici, n’existaient que dans les équations des physiciens et sans doute aussi, de particules dont les physiciens n’ont jamais envisagé l’existence. Un monde gouverné par des lois qui nous échappent, mais sur lesquelles Galilée, Newton, Maxwell, Einstein et bien d’autres, ont ouvert, eux aussi, des fenêtres.

La gravité, l’électromagnétisme, la force nucléaire faible, la force nucléaire forte. Les quarks, les leptons, les neutrinos, les muons. Derrière cette immense complexité, la physique a toujours recherché l’existence d’une plus grande simplicité.

Aujourd'hui, ses hypothèses s’appellent Modèle standard, supersymétrie, théorie des cordes et pour vérifier ces hypothèses, il y a bien longtemps que la lunette d’approche de Galilée ne suffit plus. Il faut un tunnel circulaire de 27 km, il faut 1746 électroaimants supraconducteurs pour contrôler la trajectoire des protons, il faut 94 tonnes d’hélium pour maintenir la température à moins 271,3 degrés Celsius, à deux doigts du zéro absolu de l’Univers.

Mais surtout, il faudra de la patience. Si vous voulez en savoir plus sur ces jets de protons qui, ce 10 septembre, ont inauguré le plus grand, le plus complexe, le plus froid, des accélérateurs de particules jamais construits, ce ne sont pas les sources qui manquent aujourd’hui sur Internet. Mais si cette abondance de superlatifs vous donne l’impression que de l’inauguration du LHC jaillira la lumière, vous êtes trop pressé:

- il faudra deux mois, rien que pour voir les protons commencer à entrer en collision. - si l’Univers est plus simple qu’il en a l’air, il faudra seulement un an avant de détecter des particules qui constitueront les premières confirmations de la théorie de la supersymétrie - mais si l’Univers est plus complexe qu’il en a l’air, il pourrait s’écouler cinq ans avant qu’une découverte majeure, de nature à réécrire nos livres de physique (des dimensions supplémentaires? Des particules encore plus fondamentales que les quarks?), ne soit extraite des données du LHC qui, à partir de 2009, rempliront l’équivalent de 10 000 DVD... par année!

Et pour revenir à notre premier paragraphe: qu’est-ce donc que le LHC partage avec les pyramides de Gizeh et la Tour de Babel et la cathédrale de Chartres et le Taj Mahal et la Bibliothéque d’Alexandrie? La quête des origines. Ce sont les plus fondamentales questions qui ont conduit les humains à ériger ces monuments, dans l’espoir de s’approcher un peu plus des réponses.

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