Permettez-moi, exceptionnellement, d’écrire au « Je ». Je suis journaliste scientifique depuis 15 ans. J’ai lu énormément sur la physique et le Large Hadron Collider. Et pourtant, rien à faire, je n’y comprends rien.

« Il permettra de fouiller jusqu’à une infime fraction de seconde après le Big Bang. » Je suis d'accord, mais encore? « Il permettra de découvrir des particules encore inconnues, pour nous faire comprendre les lois qui gouvernent l’Univers. » D’accord, mais concrètement? Et le boson de Higgs, ah! Lui dont on dit que si le LHC n’arrive pas à confirmer son existence —avant cinq ans?— les plus avancées des théories du B.A-BA cosmique seront dans le trouble.

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Mais encore? Ces phrases semblent simples, mais est-ce que ça vous éclaire, vous?

Tout ça, c’est de la faute à Einstein. Avant lui, le cosmos était aussi fixe que l’ennuyeuse géométrie. Un triangle était un triangle. L’espace et le temps étaient des bestioles faciles à capturer. Depuis, on est coincé dans un cosmos qui se plie comme un rideau au point où les rayons de lumière ne filent plus en ligne droite. Et le temps! De valeur absolue, il est lui aussi devenu relatif, ce qui revient à dire qu’il varie suivant chaque observateur.

Et les physiciens nous assurent que c’est plus simple ainsi! Avant Einstein, espace et temps étaient deux bestioles séparées. Depuis, elles sont unifiées : les mêmes lois, pour tous. C’est plus simple?

Remarquez qu’au moins, l’unification, ça, je peux en comprendre les enjeux. C’est dans cette quête d’unification que s’inscrit le LHC. Car les physiciens ne se sont pas traînés les pieds depuis Einstein : ils ont étudié les lois de l’infiniment petit —c’est la physique quantique— et celles de l’infiniment grand —c’est l’astrophysique; ils se retrouvent devant deux « univers » qui se comportent très différemment, ce qui est fâcheux.

Ils ont découvert que seulement quatre forces gouvernaient la nature (répétez après moi : gravité, électromagnétisme, force nucléaire faible, force nucléaire forte); ils ont découvert des façons d’en unifier deux, parfois trois, mais aimeraient bien découvrir une super-loi qui les gouvernent toutes. Ils ont identifié une foule de particules plus petites que l’atome et ont unifié leurs propriétés disparates en un grand tout, appelé Modèle standard.

Sauf que ces théories et ces modèles ont des trous. Des physiciens s’insurgent contre des théories qui, en particulier depuis les années 1980, reposent sur des particules dont on n’est même pas sûr que le LHC pourra les détecter —si tant est qu’elles existent. La célébrissime théorie des super-cordes, dont je ne comprends rien mais dont je sais qu’elle est célébrissime, s’appuie sur l’existence de dimensions supplémentaires, si petites qu’on ne pourrait les détecter qu'indirectement par l’apparition accidentelle, dans le LHC, de particules encore inconnues. Et encore, ça n’est pas sûr. Ce qui devient une excuse facile pour dire, si le LHC n’en voit rien : ah, il faudrait creuser encore plus loin...

Il y a de quoi relativiser, quand on parle de « résoudre les mystères de l’Univers ».

En définitive, ce que je comprends, c’est que s’ils finissent par trouver ce fameux boson de Higgs ou cette dimension cachée, ce ne sera que le début. Le début de quoi? Je n’en sais rien. Mais je me sens moins petit quand je réalise tout à coup que les physiciens eux-mêmes ne le savent pas non plus.

Je donne