Devinette : un trou noir risquait-il vraiment d’engloutir la Terre? Une périlleuse enquête de l’Agence Science-Presse jusqu’aux abords d’un trou noir a permis de découvrir l’origine double de cette peur : une alliance risquée entre la physique des particules et la science-fiction.

Premier point : oui, l'expérience du LHC (Large Hadron Collider, à la frontière franco-suisse) pourrait, en théorie, créer, un jour, un trou noir. Un trou noir microscopique, de moins d’un milliardième de milliardième de milliardième de millimètre et d’une durée de vie de 4 X 10-39 secondes : soit 0,000...4 (placez 39 zéros avant le 4!).

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Deuxième point : la science-fiction est friande, depuis des décennies, de trous noirs capables d’engloutir des planètes.

Premier point plus deuxième point égale : un trou noir capable d’engloutir la Terre. Et voilà!

Toutes les équations qui affichaient cette possibilité théorique d’un microscopique trou noir y arrivaient par la peau des dents : autrement dit, les théoriciens tentaient de calculer quel serait, en théorie, le plus petit trou noir possible, et arrivaient donc à cette conclusion qu’un tel microscopique trou noir serait peut-être possible, dans certaines circonstances. Pour avoir plus gros... il faudrait un plus gros LHC.

Beaucoup, beaucoup plus gros : un « vrai » trou noir nécessiterait une quantité d’énergie de loin supérieure à tout ce que l’humanité est capable d’imaginer, dans un futur proche et éloigné.

Faut-il parler des protons ou de la fin du monde?

Reste que le LHC a eu droit à une visibilité médiatique dépassant de loin tout ce que ses concepteurs auraient pu prévoir. N’eut été de cette poursuite en justice déposée aux États-Unis par l’Américain Walter Wagner et l’écrivain espagnol Luis Sancho, il n’est pas sûr qu’un accélérateur de particules, fut-il le plus gros, aurait eu droit à pareille publicité, au point de devenir la plus grosse histoire scientifique de l’année... Qui aurait cru que « Large Hadron Collider » se retrouverait en tête des recherches Google?

« Tu parles d’un problème de relations publiques », a ironisé le Der Spiegel... Vous travaillez 20 ans et dépensez des milliards de dollars dans l’espoir de percer les mystères les plus fondamentaux de l’Univers, et ce que vous récoltez, ce sont des menaces de mort...

Qui était Walter Wagner? Dans les articles, il était tantôt présenté comme un « ancien inspecteur nucléaire », ce qui fait sérieux, ou, encore mieux, quelqu’un « qui a déjà étudié en physique ». En réalité, Wagner est juriste (il détient un doctorat en droit).

Mais sa formation a moins de conséquence que le fait qu’il a généré exactement la même peur... il y a une décennie. Il a en effet tenté d’empêcher le démarrage d’un accélérateur de particules de la génération précédente, le RHIC (Relativistic Heavy-Ion Collider), à Brookhaven, Long Island (New York), alléguant que cela engendrerait, eh oui, un trou noir capable d’engloutir la Terre. Le RHIC fonctionne à présent depuis 2000, et la Terre est toujours là...

En Europe, c’est un biochimiste allemand, Otto Rössler, qui est derrière une poursuite similaire. Là non plus, aucun fait nouveau à présenter, juste une association d’idées entre la physique théorique et la science-fiction.

La scientifique derrière la nouvelle

Comme l’écrivait la semaine dernière, en direct du LHC et à quelques heures du « lancement » des premiers protons, JoAnne Hewett, une physicienne frustrée de cette vision apocalyptique : « nous avons des enfants, de la famille, des amis, dont nous nous soucions. Il y a des milliers de physiciens, à travers le monde, impliqués dans le LHC. S’il y avait un sérieux motif d’inquiétude, les scientifiques eux-mêmes se seraient retirés. »

Pascal Lapointe

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