En quelques jours, des millions de tonnes de méthane se sont ajoutés au total de ce qui envahira notre ciel. Coup sur coup, deux navires explorant le Grand Nord, indépendants l’un de l’autre, ont renvoyé vers la civilisation un avant-goût de son inconscience.

C’est d’abord d’un navire russe dont les journaux ont parlé cette semaine. Le quotidien britannique The Independant a frigorifié les environnementalistes mercredi, 24 septembre, en rapportant en exclusivité que des dépôts de méthane sous-marins, emprisonnés dans la glace depuis des milliers d’années, fuyaient vers la surface, à mesure que notre planète se réchauffe.

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Le méthane est décrit par les scientifiques comme un gaz à effet de serre 20 fois plus actif que le gaz carbonique. En termes clairs, cela veut dire qu’il offre à ceux qui veulent détruire les écosystèmes un rapport qualité-prix très supérieur.

Les géologues évoquent depuis longtemps le risque que des « poches » de méthane emprisonnées sous le permafrost (le sol gelé en permanence) ne soient libérées à un rythme accéléré, au fur et à mesure que la Terre se réchauffera. Le scénario peut se résumer à ceci : expédiez des millions de tonnes de méthane dans l’atmosphère, et vous accroissez l’effet de serre, ce qui veut dire que vous accélérez le réchauffement du grand Nord... et que vous libérez d’autres millions de tonnes de méthane.

Il y en aurait des milliards d’enfouis ainsi sous l’océan Arctique.

Or, on avait à peine digéré la nouvelle en provenance du navire russe —le Jacob Smirnitskyi, occupé par des chercheurs suédois— qu’un navire britannique lui aussi dans l’Arctique envoyait jeudi, 25 septembre, la même mauvaise nouvelle : eux ont identifié 250 « cheminées » de méthane, c’est-à-dire 250 endroits où, d’une crevasse sous-marine, s’échappe ce méthane, jusqu’à la surface de l’eau. Et ce dans une zone d’à peine quelques dizaines de kilomètres carrés.

Bémol rassurant : le phénomène n’est sans doute pas aussi inédit qu’il en a l’air. Un nombre indéterminé de ces 250 « cheminées » existait probablement depuis longtemps. Des « fuites » de méthane se produisent sûrement dans la région depuis la dernière ère glaciaire, soit depuis 15 000 ans. « Ce que nous voyons maintenant n’a certainement pas commencé l’année dernière », temporise le géophysicien Graham Westbrook, de l’Université de Birmingham, qui dirige l’équipe britannique.

« Nous avons observé des concentrations accrues de méthane dans la mer de Laptev au cours de plusieurs expéditions, depuis le milieu des années 1990 », a toutefois ajouté Igor Semiletov, responsable du programme de méthane sur le navire russe, dans le cadre du programme d’étude du plateau continental sibérien.

Le navire russe a fait ses observations, qui sont pour l'instant qualifiées de préliminaires, au large des côtes nord de la Russie, près du fleuve Léna. Le navire britannique, le James Clark Ross, a fait ses observations, elles aussi qualifiées de préliminaires, près des îles Svalbard, au Nord-Ouest de la Norvège.

Mais c’est l’ampleur du phénomène qui inquiète : découvrir des « fuites » de méthane est une chose, en découvrir autant au même endroit en est une autre, qui conduit à spéculer sur ce qui est en train de se passer dans les milliers de kilomètres carrés de l’océan Arctique que personne n’observe en ce moment. Si la chose est vraiment en train de se multiplier, le climat serait voué à se réchauffer encore plus, et les perturbations que les plus pessimistes nous prédisent pour la fin du XXIe siècle deviendraient rapidement irréversibles : les courants marins et atmosphériques seraient lancés dans une phase d’emballement dont il leur faudrait, au mieux, des siècles pour se remettre.

Ce méthane est un héritage de la dernière époque glaciaire, alors que le niveau des eaux était de 100 mètres plus bas. C’est la raison pour laquelle ceux qui temporisent rappellent qu’une partie au moins de ce méthane doit « fuir » en permanence depuis 15 000 ans. Sans compter la partie du méthane que l’on doit au travail normal des bactéries. Des échantillons envoyés par les deux navires dans des laboratoires des Pays-Bas et du Royaume-Uni devraient permettre d’en savoir plus.

Quelle partie de ces fuites est « chronique »? Quelle partie atteint la surface puis fuit dans l’atmosphère? Combien de dixièmes de degrés Celsius supplémentaires suffiront pour en faire fuir quelques millions de tonnes de plus? À ce jour, personne ne peut répondre à ces questions.

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