Dans son livre The Audacity of Hope, publié en 2006, Barack Obama, alors sénateur de l'Illinois, dévoile ses pensées et ses ambitions pour son pays. Qu’avait-il à dire à propos de la science? En voici quatre extraits.

Une visite au Q.G. de Google

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[Été 2004] Peu avant la fin de la visite, Larry [Page, co-fondateur de Google] me conduisit dans une salle dominée par une image tridimensionnelle de la Terre tournant sur elle-même, sur un grand écran plat. Larry demanda au jeune ingénieur américain d’origine indienne qui travaillait à côté de m’expliquer ce que je voyais.

« Ces lumières représentent toutes les recherches en cours en ce moment », dit-il. « Chaque couleur est une langue différente. Si vous déplacez le curseur de cette façon » —l’écran changea de configuration— « vous pouvez voir l’état du trafic sur l’ensemble d’Internet ».

L’image était ensorcelante, plus organique que mécanique, comme si j’étais en train d’observer les premiers stades d’un quelconque processus évolutif accéléré, où toutes les frontières entre les hommes —nationalité, race, religion, richesse— étaient rendues invisibles et inutiles... Et puis je remarquai les larges poches d’obscurité tandis que le globe tournait sur son axe —le gros de l’Afrique, des portions d’Asie du Sud, même certaines portions des États-Unis, où les fines cordes de lumière se dissolvaient en de discrètes ficelles.

Pas d’éducation, pas de futur

Nos investissements en éducation ne peuvent pas se contenter d’un système scolaire primaire et secondaire amélioré. Dans une économie du savoir où huit des neuf emplois à connaître la plus forte croissance nécessitent des connaissances scientifiques ou techniques, la plupart des travailleurs auront besoin d’une forme d’éducation supérieure... De la même façon que notre gouvernement a institué des écoles publiques gratuites et obligatoires à l’aube du 20e siècle pour fournir aux travailleurs les habiletés nécessaires à l’âge industriel, notre gouvernement doit aider les travailleurs d’aujourd’hui à s’ajuster aux réalités du 21e siècle.

D’une certaine façon, notre tâche devrait être plus facile qu’elle ne l’était pour les politiciens d’il y a un siècle... Depuis Lincoln... les institutions de haut savoir ont servi de laboratoires pour les besoins de la nation en recherche et développement. C’est à travers ces institutions que nous avons formé les innovateurs du futur, avec le soutien essentiel du gouvernement fédéral pour les infrastructures —tout, depuis les laboratoires de chimie jusqu’aux accélérateurs de particules— et les dollars pour des recherches qui peuvent ne pas avoir une application commerciale immédiate mais peuvent ultimement conduire à des percées scientifiques majeures...

Si nous voulons une économie de l’innovation, une qui génère de nouveaux Google chaque année, alors nous devons investir dans nos futurs innovateurs —en doublant les fonds fédéraux alloués à la recherche pendant les cinq prochaines années, en formant 100 000 ingénieurs et scientifiques de plus pendant les quatre prochaines années, ou en fournissant de nouvelles subventions aux plus prometteurs jeunes chercheurs de ce pays. La facture pour maintenir notre avance en science et en technologie s’élèverait à environ 42 milliards$ sur cinq ans —beaucoup d’argent en effet, mais seulement 15% du dernier budget fédéral pour les autoroutes...

C’est ce qui s’est produit au sommet de la guerre froide, lorsque le lancement du satellite Spoutnik a fait craindre que les Soviétiques ne soient en train de nous devancer technologiquement. En réponse, le Président Eisenhower a doublé l’aide fédérale à l’éducation et fourni à une génération entière de scientifiques et d’ingénieurs la formation nécessaire pour se lancer dans des avancées révolutionnaires. Cette même année, l’Agence DARPA était formée, fournissant des milliards de dollars à la recherche fondamentale qui contribuera éventuellement à créer l’Internet, les codes-barres et le design assisté par ordinateur. Et en 1961, le Président Kennedy allait lancer le programme spatial Apollo, inspirant encore davantage de jeunes à pénétrer la Nouvelle frontière de la science.

Un virage pour l’énergie

Notre situation actuelle exige que nous prenions la même approche avec l’énergie. Il est difficile de sous-estimer à quel point notre dépendance au pétrole mine notre futur. Selon la Commission nationale sur les politiques d’énergie, sans changements à nos politiques, la demande américaine en pétrole bondira de 40% au cours des 20 prochaines années. Pendant la même période, la demande mondiale devrait bondir d’au moins 30%, alors que des pays en développement rapide comme l’Inde et la Chine accroîtront leur capacité industrielle et ajouteront 140 millions d’automobiles sur leurs routes.

Notre dépendance au pétrole n’affecte pas seulement notre économie. Elle mine notre sécurité nationale. (...) Et ensuite, il y a les conséquences environnementales. À peu près tous les scientifiques en-dehors de la Maison-Blanche croient en la réalité et la gravité des changements climatiques, et croient que les émissions ininterrompues de dioxyde de carbone aggravent la situation. Si la perspective de calottes glaciaires fondues, d’ouragans plus fréquents, de tornades plus violentes, de systèmes météo perturbés, de tempêtes de sable sans fin, de forêts en déclin, de coraux mourants et d’accroissement des maladies respiratoires et des infections transmises par des insectes —si tout cela ne constitue pas une menace sérieuse, je ne sais pas ce qui en constitue une.

Science et religion

Si j’étais opposé à l’avortement pour des raisons religieuses et souhaitait passer une loi l’interdisant, je ne pourrais pas simplement pointer les enseignements de mon église ou invoquer la volonté de Dieu, en espérant que ces arguments fassent foi de tout.

Pour ceux qui croient dans le caractére littéral de la Bible, de telles règles peuvent paraître un exemple de plus de la tyrannie du monde séculier et matérialiste sur le sacré et l’éternel. Mais dans une démocratie pluraliste, nous n’avons pas le choix. Presque par définition, foi et raison opèrent dans des domaines différents et impliquent des voies différentes pour discerner la vérité. La raison —et la science— impliquent l’accumulation de connaissances, sur la base de réalités que nous pouvons tous appréhender. La religion, par opposition, est basée sur des vérités qui ne peuvent être prouvées à travers la compréhension humaine courante. Lorsque des professeurs de science insistent pour laisser le créationnisme et le design intelligent en-dehors de leurs classes, ils ne prétendent pas que la connaissance scientifique est supérieure à la religion. Ils insistent simplement sur le fait que chaque parcours de connaissance implique des règles différentes et que ces règles ne sont pas interchangeables.

Le monde au-delà de nos frontières

Lorsque nous continuons à dépenser des dizaines de milliards de dollars pour des armements d’une valeur douteuse, mais que nous refusons de dépenser la somme nécessaire pour protéger des usines chimiques vulnérables dans des centres urbains, il devient plus difficile d’amener les autres pays à sécuriser leurs centrales nucléaires. Lorsque nous détenons des suspects indéfiniment sans procès ou les expédions à la tombée de la nuit dans des pays où nous savons qu’ils seront torturés, nous affaiblissons notre capacité à nous battre pour les droits humains et l'établissement de la règle de droit chez des dictatures. Lorsque nous, le pays le plus riche du monde et le consommateur de 25% des carburants fossiles de la planète, ne pouvons pas nous convaincre d’améliorer nos normes d’efficacité énergétique, même par une faible marge, ne serait-ce que pour diminuer notre dépendance aux champs de pétrole d’Arabie Saoudite et ralentir le réchauffement planétaire, nous devrions nous attendre à avoir quelque difficulté à convaincre la Chine de ne pas faire affaire avec des producteurs de pétrole tels que l’Iran ou le Soudan —et ne devrions pas compter sur beaucoup de coopération de leur part pour s’attaquer à des problèmes environnementaux qui atteignent nos rivages.

Barack Obama, The Audacity of Hope. New York, Vintage Books, 2006.

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