Né à Montréal l’année même où l’on inaugurait la station de radio CKAC, d’abord chercheur et professeur en biochimie sans Ph. D, devenu ensuite animateur de radio — pionnier de la communication scientifique — et grand interviewer à la télévision, Fernand Seguin est décédé d’un cancer de l’abdomen à son domicile de Saint-Charles-sur-Richelieu au début de l’été 1988. Sa mort avait été précédée huit mois plus tôt — 1er novembre 1987 — par celle de René Lévesque, et suivie, deux mois plus tard — le 8 août 1988 — par celle de Félix Leclerc.

Trois piliers disparaissaient donc en neuf mois. « En art, en science et en politique, ça avait balayé large! », s’exclame l’animateur des Années Lumière, Yanick Villedieu qui, tout jeune journaliste au milieu des années 1970 à Science-Réalité (aujourd’hui Découverte), a eu Seguin comme collègue. « Lorsque je l’ai connu, il jouissait déjà d’un énorme capital de popularité qui lui venait bien sûr du Sel de la semaine, mais aussi de toutes ses émissions de radio et de télévision auxquelles il avait participé au cours de sa carrière. » Le Sel de la semaine était cette émission où Seguin — un peu comme Stéphane Bureau aujourd’hui avec Contact-L’encyclopédie de la création — réalisait des entrevues magistrales d’une heure avec de grandes personnalités internationales.

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Seguin était arrivé à la vulgarisation un peu par défaut. Des exigences pour le moins « spéciales » de la part de l’un des évaluateurs de sa thèse, mêlées à son caractère parfois bouillant, l’avaient privé des attestations nécessaires à l’obtention du doctorat obligatoire pour l’enseignement supérieur; c’est cela, ultimement, qui allait le forcer à se tourner vers la communication. Ce fut d’abord à la radio de Radio-Canada dans le cadre de l’émission Radio-Collège, où il donna pendant sept ans (entre 1947 à 1954) des exposés vulgarisés en biologie humaine et en psychiatrie. Il avait alors comme « collègue », chargé des causeries de botanique, le Frère Marie-Victorin!

Seguin à la télévision

« C’est un peu plus tard à la télévision que j’ai connu Fernand », dit Thérèse Patry. Celle qui deviendrait la première femme réalisatrice en sciences du petit écran, était alors rattachée à la section des émissions jeunesse de Radio-Canada, une section-phare d’où sortiraient bientôt La Boîte à surprises et autre Fanfreluche. Seguin y animait La Science en pantoufles qui serait vite suivie par La Joie de connaître et Le Roman de la science, trois programmes qui, avec l’émission Techno-Flash – réalisée par Madame Patry — marqueraient les premiers pas de la vulgarisation scientifique au petit écran.

Devenue plus tard coresponsable, avec Fernande Chouinard, de l’émission Science Réalité (aujourd’hui Découverte), Thérèse Patry aura le privilège de compter Fernand Seguin comme collaborateur attitré. « Fernand faisait chez nous une chronique hebdomadaire de huit minutes, se souvient-elle. Ce n’était pas un éditorial, plutôt une réflexion sur un sujet scientifique qu’il choisissait à partir de l’actualité. » Chaque semaine, il accomplissait le tour de force de rendre à la télévision pendant huit minutes un sujet scientifique, et ce, sans support visuel. « Ce n’est pas qu’on n’aurait pas aimé faire entrer du visuel là-dedans…, poursuit madame Patry. Mais parce que c’était Fernand Seguin – et qu’il était un communicateur d’exception –, on laissait aller… »

« C’était effectivement un vulgarisateur scientifique dans la plus grande force du terme, dit son ami Jean-Marc Gagnon, qui fut à la tête du magazine Québec Science dans les années 1970 et 1980. Il était tellement bon qu’il arrivait à donner à son interlocuteur, auditeur ou téléspectateur, la délicieuse impression que ce n’était pas le pédagogue – c’est-à-dire lui —, qui était excellent, mais bien, vous, le récepteur du message, qui étiez supérieurement intelligent. »

« Fernand était quelqu’un qui tempérait nos ardeurs de jeune journaliste, ajoute Yanick Villedieu. Surtout dans le domaine de la santé où les découvertes rejoignent si directement les humains. En d’autres mots, il nous enjoignait de faire attention à ce qu’on dit quand on communique au public les dernières découvertes médicales, aussi fabuleuses soient-elles; de penser aux personnes malades, qui lieront leurs espoirs à ces informations… »

Cela dit, Seguin — l’humble, l’humaniste, le timide, mais aussi l’impulsif, l’entêté et le mégalomane (l’homme souffrait de bipolarité) — allait bientôt goûter à tous les superlatifs…

Seguin à l’international

En 1977, un homme, Jean Baroux, premier directeur général de la toute jeune Association québécoise des professionnels de la communication scientifique (devenue aujourd’hui l’ACS), décida que l’un des premiers « dossiers » de l’association serait de proposer la candidature de Fernand Seguin au prix Kalinga de l’UNESCO, la plus haute distinction mondiale en vulgarisation scientifique. Rien que ça!

« Désireux de nous mettre rapidement sur la place publique, ce diable de Jean Baroux — à qui l’ACS doit beaucoup — avait obtenu que Radio-Canada verse un salaire à l’Association pour qu’il puisse, lui, monter l’énorme dossier de candidature requis par l’UNESCO, un défi colossal qui nécessita six mois de travail à temps plein », raconte Gilles Provost, journaliste à Découverte, qui occupait alors la toute première présidence de l’AQPCS. Et, effectivement, le tout premier dossier d’importance que pilota la toute juvénile association (qui incidemment avait reçu sa première cotisation de Fernand Seguin lui-même, devenu ainsi le premier membre!) rapporta rapidement des dividendes. Et quels dividendes! Car, contre toute attente, le jury du Kalinga réuni à Paris attribua sa palme à Monsieur… Fernand Seguin!

Seguin et sa « descendance »

Cet éclair, s’inscrivait au bout d’une décennie qui avait été fertile en fondations. Le magazine Québec Science était apparu en 1970; Science Réalité à Radio-Canada en 1975. L’Agence Science-Presse, en 1978, première agence de presse à vocation scientifique de la francophonie, d’où émergerait une chronique d’expériences qui paverait la voie au vaste mouvement des Clubs de Débrouillards et au magazine du même nom.

Fernand Seguin est-il entré pour autant dans la mémoire collective? Chose certaine, on n’a pas lésiné avec l’utilisation de son patronyme. Portent son nom actuellement : une salle de cinéma (à la Cinémathèque québécoise de Montréal), un centre écologique (à Châteauguay), une médaille (récompensant un étudiant de biologie à l’Université de Sherbrooke) ; une bourse en journalisme scientifique (de l’Association des communicateurs scientifiques), un centre de recherche sur les maladies mentales (attenant à l’Hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine), deux écoles primaires (l’une à Montréal, l’autre à Sainte-Foy), une école secondaire (à Candiac) ; au moins une rue (à Laval), et un terrain de soccer (à Candiac). Ne manque plus qu’une autoroute…

On a fait plus original : on a « toponymisé » en son honneur une montagne gaspésienne... Situé dans le parc de conservation de la Gaspésie, à 40 km de Cap-Chat, le mont Fernand-Seguin culmine à 740m — c’est-à-dire trois fois le mont Royal (230m). La Commission de toponymie a officialisé cet odonyme le 21 juin 1989, soit un an et deux jours après sa mort, l’année même où s’échafaudait au M.I.T. le grand Projet Génome humain.

Parti à son heure, Fernand Seguin n’en aura vu, comme nous tous probablement, que quelques prémisses. La Science est aventure au long cours.

Pour en savoir plus sur Fernand Seguin :

Livres

Fernand Seguin de Jacques Lamarche publié chez Lidec (1998). Biographie.

Fernand Seguin, le savant imaginaire de Jean-Marc Carpentier et Danielle Ouellet publié chez Libre Expression (1994). Biographie.

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