Les coupes sombres dans les salles de rédaction se poursuivent. En 2007, des quotidiens américains en étaient réduits à supprimer... les critiques cinéma et télé. Peu de devins auraient cru qu’on en arriverait là. Sauf, sans doute, les journalistes scientifiques, eux qui furent victimes des premières coupures... il y a 30 ans!

 

« La question de savoir ce qui constitue un contenu non-indispensable et ce qui représente un élément-clef de l’identité d’un journal » a pris des tournants beaucoup plus subtils en 2007, notait pudiquement, en janvier dernier, le rapport annuel State of the News Media. En effet, alors que l’abolition des bureaux à l’étranger avait jadis pris peu de gens par surprise —justification prévisible des gestionnaires : privilégier l’information locale— on aurait pu croire que les critiques de films seraient jugés, eux, indispensables. Spécialement dans des journaux desservant de grandes villes, bien pourvues en salles de cinéma, comme le Detroit Free Press ou l’Atlanta Journal-Constitution.

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Justification des gestionnaires, cette fois : des critiques-maisons n’ajoutent pas une assez grande valeur au contenu, par rapport aux journalistes du navire-amiral de la chaîne, ou aux pigistes-vedettes déjà repris dans des dizaines de journaux (Roger Ebert, Kenneth Turan).

Eh bien un signal d’alarme pouvait se faire entendre depuis près de 30 ans, mais il provenait d’un secteur du journalisme qu’on a rarement l’habitude d’écouter : le journalisme scientifique. Tel le canari dans la mine de charbon, qui servait de signal d’alarme aux mineurs lorsqu’un gaz toxique s’introduisait dans le souterrain, les journalistes scientifiques américains furent parmi les premiers à faire les frais des coupures, ou à voir leurs postes abolis, dès les années 1980 : plusieurs avaient été embauchés dans les années 60, à l’apogée du programme spatial, et depuis, ceux qui partent à la retraite n'ont généralement pas été remplacés.

Selon Cristine Russell, de l’Université Harvard, il y avait 91 pages ou sections « Science » dans les quotidiens américains en 1988; en 2006, il n’en restait plus qu’une trentaine. Et la majorité avaient été converties en pages sur la santé personnelle.

De plus, cette régression n’était pas un problème propre au journalisme scientifique, mais au journalisme tout court : dans certains quotidiens, comme au Journal de Montréal, on supprimait la page Science... mais on conservait la page sur le paranormal.

La porte ouverte à Raël

Air connu : les coupures de postes dans la presse écrite et électronique procurent davantage de pouvoirs aux relationnistes, parce que les journalistes sont à statut de plus en plus précaire (pigistes ou contractuels), donc ont moins de temps pour fouiller. Or, la conséquence est encore plus épineuse dans le journalisme scientifique : il a toujours été plus facile à d’habiles manipulateurs de faire passer leur nouvelle dans une rédaction où personne ne se sent équipé pour en faire une analyse adéquate.

C’est ainsi que le bébé cloné de Raël s’est retrouvé à la Une en décembre 2002, que des articles sur une thérapie farfelue passent entre les mailles du filet, ou qu’un sujet complexe comme le réchauffement climatique a longtemps été réduit à un débat « pour ou contre ».

Le vétéran professeur de journalisme Philip Meyer, de l’Université de Caroline du Nord, résume cette régression par une métaphore empruntée à l’aviation : la « spirale de la mort ». Comme un avion qui tombe en vrille, les journaux sont engagés dans un cycle où les baisses de revenus d’abonnement et de publicité les obligent à couper dans l’information, ce qui entraîne des baisses de revenus d’abonnement et de publicité...

À l’Agence Science-Presse, alors que nous fêtons nos 30 ans, cette régression prend une couleur particulière. Parce que notre mission a toujours été d’alimenter les médias en nouvelles scientifiques, nous nous sommes retrouvés, par défaut, dans le fauteuil d’un observateur : le recul du journalisme scientifique reflète tout bonnement l’évolution de la presse écrite... à ceci près que le journalisme scientifique avait une ou deux décennies d’avance!

Et ce n’est pas fini : tous ces hybrides journalisme-relations publiques, sous la forme de cahiers spéciaux et autres « magalogues » qui inquiètent tant la profession, vous avez une idée du secteur où ils engendrent les contenus les plus intéressants et les plus dynamiques, parfois plus dynamiques que la presse généraliste? Eh oui, la science. La suite de l’histoire du canari dans le deuxième article de cette série...

Ce texte est initialement paru dans le magazine Le Trente de novembre 2008, à l'occasion du 30e anniversaire de l'Agence Science-Presse.

 

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