Le gouvernement Harper en a surpris plus d’un, en créant des bourses en sciences sociales qui devront aller à des projets « liés au monde des affaires ». Mais pour Andrée Lajoie, ce n’était qu’une étape, prévisible, d’une évolution —ou une régression— commencée il y a bien longtemps.

Il y a 50 ans, un chercheur en sciences sociales qui recevait —cas rare— une subvention avait peu de chances d’être soumis à des critères très stricts. Aujourd’hui, ces subventions « libres » constituent moins du tiers de ce qui est distribué aux chercheurs. Le reste impose tantôt du travail en équipe, tantôt des thématiques précises, ou les deux.

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C’est ce qui a conduit cette professeure émérite à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, arrivée à la retraite, à tracer un bilan, presque clinique, intitulé Vive la recherche libre. « Je voulais faire état d'une évolution dont j'ai été témoin, depuis les années 1960. » Comme si elle avait des talents de devin, le lancement de son livre est survenu le jour même de l’annonce des bourses du gouvernement Harper!

En soi, le Québec n’est pas unique : il suit la tendance internationale. Et bien que le livre ne couvre que les sciences sociales, on devine une évolution similaire (plus accentuée?) du côté des sciences naturelles.

Il en résulte, pour les étudiants d’aujourd’hui, une pression accrue pour produire, et produire d’une façon plus « orientée », plus « ciblée » que leurs prédécesseurs. « Il faut qu’ils aillent au gré des organismes subventionnaires, au gré des attentes institutionnelles », juge une des intervenantes de Mme Lajoie.

C’est normal qu’il y ait des subventions orientées, nuance un autre. « On ne peut pas travailler dans une bulle tout à fait indépendante. » Mais où tracer la ligne? Les sciences sociales, en effet, ne sont pas exemptes du vieux débat des sciences entre recherches appliquées et théoriques. En sciences sociales aussi, certaines disciplines plus que d’autres, il y a une pression pour privilégier des recherches dont on pourrait démontrer l’utilité sociale.

Des solutions? Pallier au sous-financement des universités, écrit Andrée Lajoie en conclusion. Affecter au moins la moitié des subventions à la recherche libre. Sinon? Encore plus de bourses orientées suivant l’humeur du moment...

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