Kyle Freeman, un homme gai qui a caché son homosexualité pour donner de son sang à 18 reprises, poursuit présentement la Société canadienne du sang (SCS) devant un tribunal d’Ottawa. Il estime que l’exclusion à vie du don est une atteinte aux droits de la personne et stigmatise les gais. Alors que le débat constitutionnel est relancé à la cour de justice, la contestation fait aussi rage du côté des scientifiques.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, 40 % des nouveaux cas d’infection au VIH au Canada en 2006 concernaient des hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HRSH). Ailleurs dans le monde, le constat est similaire et pousse la plupart des pays à disqualifier de façon illimitée le don du sang à cette population. Certains pays, comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal ou l’Australie, ont cependant levé ou raccourci l’interdiction.

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Selon Dana Devine, vice-présidente des affaires médicales et scientifiques et de la recherche de la SCS « chaque pays doit prendre sa propre décision, car l’incidence au VIH et la robustesse des systèmes de distribution nationaux diffèrent d’un endroit à l’autre ».

La difficulté à détecter le virus au cours des premières semaines suivant l’infection préoccupe particulièrement la SCS. Pourtant, certains tests de dépistage sont aujourd’hui si performants que cette « fenêtre » peut être réduite à trois semaines seulement. Plusieurs experts estiment donc qu’une exclusion à vie n’est plus justifiée et discutent plutôt du temps d’abstinence à fixer avant d’autoriser une personne à donner : 1 an, 5 ans ou 10 ans?

Dans le but d’estimer les risques entraînés par de tels changements, le Centre canadien R. Samuel McLaughlin d'évaluation du risque sur la santé des populations a produit un rapport pour la SCS en 2007. Ce document rappelle que dans le système en vigueur, le risque qu’une poche infectée par le VIH échappe aux contrôles et soit distribuée dans le réseau était d’un cas par 7.8 millions.

Ce rapport cite ensuite une étude de 2003 dirigée par Marc Germain d’Héma-Québec, qui concluait que le risque augmenterait de 8 % au Canada pour une exclusion des HRSH réduite à un an, soit un cas supplémentaire par 12 millions ou aux 69 ans.

Aujourd’hui, la même équipe atteste qu’avec les nouveaux tests de dépistage, le risque ne serait plus qu’une unité infectée par 2000 ans au Québec. Ainsi, le rapport McLaughlin n’a pu déterminer avec une évidence claire que le risque de contamination pour le receveur serait significativement augmenté pour une disqualification de 5 ans et plus si l’on permettait le don de sang provenant d’homosexuels.

« Du point de vue du VIH seul, un bannissement de 12 mois est défendable », affirme Gilles Delage, vice-président aux affaires médicales en microbiologie d’Héma-Québec. « Mais cela devient plus compliqué en réalité. Il faut tenir compte des risques associés à d’autres maladies à forte incidence chez les hommes ayant des rapports avec des hommes comme la syphilis ou l’hépatite B » explique-t-il.

Mais aussi d’autres agents infectieux qui pourraient émerger dans le futur au sein de la communauté gaie. « Le problème c’est que nous manquons de données pour trancher », commente Dana Devine.

Doug Elliot, avocat pour la Société canadienne du SIDA réfute cet argument : « Où est la preuve scientifique que les gais pourraient être affectés un jour par une maladie qui n’existe pas? Le principe de précaution ne devrait pas s’appuyer sur une peur infondée. Aucune étude ne justifie plus le maintien de l’exclusion à vie. »

Pour l’avocat, la SCS refuse de prendre en compte les bénéfices d’autoriser le don du sang par crainte de l’opinion publique. Dana Devine admet que la moindre augmentation du risque, si minime soit-elle, « obtiendrait un non catégorique des receveurs ».

Même constat du côté du Dr Delage : « C’est vrai que nous avons traîné dans les charbons ardents ces dernières années. Déterminer ce qui est acceptable comme risque est une décision de société qui exige un consensus large. »

Un questionnaire discriminatoire?

Les militants du don pour les HRSH reprochent aux questionnaires de don de pointer un groupe à risque plutôt qu’un comportement à risque.

« Il est vrai que les questionnaires reposent déjà en partie sur la confiance envers les donneurs autorisés. Mais ceux-ci ont statistiquement moins de chances de contracter une infection sexuellement transmissible ou de rencontrer quelqu'un de malade », explique Gilles Delage.

Comme l’honnêteté et la qualité de l’auto-évaluation du donneur sont incertaines, la SCS préfère exclure d’emblée des groupes entiers où l'incidence d’une maladie est forte. Elle interdit par exemple le don à toute personne ayant séjourné sur les îles Britanniques dans les années 1990 sans chercher à savoir si elle a mangé du bœuf ou si elle était végétarienne.

« Cette situation est injuste quand on sait que certains donneurs autorisés mentent sur leurs pratiques ou que les femmes ayant des pratiques à risque ne sont exclues qu’un an », s’exclame Doug Eliott. « La question ne fait plus de sens puisque la fenêtre d’invisibilité du VIH est aujourd’hui extrêmement réduite. »

Il reste que pour la SDS, cette auto-analyse est plus périlleuse lorsqu’on fait partie d’un groupe où l’incidence aux infections sexuellement transmissible est forte.

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