Un best-seller en devenir qui, dans l’espoir de vulgariser l’économie, a choisi la voie de la provocation. Ce qui aurait pu être acceptable, n’eut été que ses auteurs économistes ont choisi un sujet qu’ils ne maîtrisaient apparemment pas : le climat.

Depuis 2006, quatre millions de personnes ont acheté Freakonomics —littéralement : l’économie pour les freaks— un livre qui fait le lien entre économie et social, sous un angle étonnant et parfois provocateur (par exemple, l’avortement aurait eu pour avantage de... tuer dans l’oeuf toute une génération de criminels !).

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Eh bien les deux économistes, Steven Levitt et Stephen Dubner, viennent de sortir un autre livre, SuperFreakonomics , et il n’avait pas encore atteint les tablettes des librairies qu’il déclenchait déjà tout un débat, parce qu’un des chapitres met en doute le réchauffement climatique. Est-ce seulement de la provocation pour le plaisir de provoquer? En entrevue, ils disent que oui, mais le débat fait rage parce qu’avec chaque jour qui passe, des blogueurs ne cessent de découvrir de nouvelles erreurs factuelles.

Le chapitre litigieux —et le sous-titre du livre lui-même— renvoie par exemple, avec l’expression « refroidissement global » (global cooling), à la croyance suivant laquelle il y a 30 ans, le consensus scientifique aurait été à l’effet que la Terre était en train de se refroidir. Or, c’est faux : un tel consensus n’a jamais existé —ce qui n’empêche pas cette croyance de continuer à se répandre.

Le climatologue Ken Caldeira est par ailleurs cité comme ayant dit que le CO2 n’est pas la cible dont on devrait se préoccuper; or, tous ses travaux disent le contraire.

Climatologues et autres scientifiques sont nombreux à descendre en flammes Superfreakonomics, ce qui était prévisible. Ce qui l’était moins, c’était que même le Nobel d’économie Paul Krugman s’en mêlerait. Dans son blogue publié sur le site du New York Times, il a commencé le 16 octobre par associer l’attitude provocatrice de ses collègues auteurs à une attitude courante chez les penseurs : on se dégage du peloton en choquant les bien-pensants. C’est très bien, dit-il, quand ce sont des discussions de nature éthique ou philosophique, mais ici, avec le réchauffement climatique, on n’est plus dans la même ligue.

Krugman y revient plus en détail le surlendemain :

Dans ce chapitre crucial, il y a une moyenne d’une affirmation par page qui est soit carrément fausse, soit profondément trompeuse.

Contrairement aux climatologues, il ne va pas jusqu’à accuser Levitt et Dubner d’être des « enviro-sceptiques » qui se seraient déguisés en provocateurs, mais il les voit, de son point de vue d’économiste de gauche, comme étant idéologiquement orientés à droite :

... identifie chez Dubner et Levitt une contradiction que j’ai déjà identifiée en d’autres circonstances : ceux qui [sont favorables aux] primes lorsqu’ils présentent un argumentaire pro-libre-marché, semblent soudainement perdre toute foi dans le pouvoir des primes lorsque le but est d’induire davantage de comportements en faveur de l’environnement.

Peut-être le jupon dépasse-t-il plus visiblement que chez d’autres économistes parce que cette fois, ceux-ci ont choisi un sujet qui leur était moins familier qu’ils ne le croyaient. Jouant lui aussi la provocation, c’est la conclusion que tire le scientifique engagé Joe Romm :

Comme il est courant chez les gens intelligents qui ne connaissent à peu près rien de la science du climat ou des solutions et se fourvoient, [Levitt] s’est appuyé sur d’autres négationnistes intelligents qui ne connaissent à peu près rien de la science du climat et des solutions.
Je donne