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La maladie du chaînon manquant a encore frappé. Deux nouveaux squelettes vieux de 2 millions d’années ont été spontanément étiquetés « chaînon manquant » par leurs découvreurs, alors que tout laisse croire qu’ils pourraient simplement appartenir au « chaînon » précédent.

Il s’agit de deux squelettes remarquablement conservés, une femme et un adolescent, trouvés dans une caverne d’Afrique du Sud, et détaillés dans la revue Science (le sujet fait la couverture, ci-contre) sous le nom de Australopithecus sediba. Ce nom signifie que ses découvreurs sud-africains le classent d’emblée comme « une nouvelle espèce » d’australopithèque, et une espèce qui, ajoutent-ils dès le titre de leur article, pourrait être le pont entre la branche australopithèque et la branche Homo —nous. C’est ce « détail » qui, déjà, est fortement contesté.

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Tout d’abord, une mise en contexte. Il y a 6 millions d’années, nos ancêtres commencent à descendre des arbres. Passant de plus en plus de temps sur deux pattes, ils évoluent en différentes espèces ayant des points communs : un cerveau de la taille d’un chimpanzé (un tiers du nôtre), de longs bras avec des doigts incurvés (qui permettent de s’accrocher aux arbres) et des jambes courtes. Ce sont les australopithèques.

Il y a environ 2,3 millions d’années, émerge une autre branche, avec l’Homo habilis, puis l’Homo erectus. Son cerveau fait les deux tiers du nôtre, ses doigts sont plus agiles et, il y a 1,8 million d’années, les jambes de l’Homo ergaster sont aussi longues que les nôtres.

Comment est-on passé d’australopithèque à Homo? Et où cela s’est-il passé? Les paléoanthropologues essaient d’y répondre depuis des décennies, mais les fossiles de cette époque sont généralement très fragmentaires. D’où l’excitation autour de deux nouveaux squelettes aussi complets : ils ont les longs bras et les chevilles de l’australopithèque mais les courtes mains et les longues jambes de l’Homo.

Sauf qu’il faut plus que ces caractéristiques générales pour faire un tout. L’anthropologue Fred Grine, de l’Université Stony Brook (New York), auteur de différents efforts pour « cataloguer » les caractéristiques morphologiques des hominidés, reproche à l’équipe de Lee Berger de « ne pas avoir effectué d’analyse compétente des variations » de la branche cousine, l’Australopithecus africanus. En d’autres termes, le « nouveau » A. sediba et « le vieux » A. africanus seraient deux variations de la même espèce, et non deux espèces différentes.

C’est ce qu’affirme aussi le paléoanthropologue Tim White, de l’Université de Californie : plus sévère, il ajoute dans Nature que « l’obsession de mettre Homo dans le titre et le texte [de l’article] est difficile à comprendre »... sauf si c’est pour attirer l’attention des médias.

Dernier bémol, l’un des deux squelettes est celui d’un adolescent. Il est toujours hasardeux, soulignent les critiques dans la foulée de Tim White, de conclure à partir des caractéristiques anatomiques d’un adolescent, puisqu’il n’a pas achevé sa croissance. Lee Berger et ses collègues s’en sont défendu dans une conférence de presse tenue le 7 avril : l’ado en question « est presque adulte » et « son cerveau avait clairement atteint 95 à 98% de ses capacités d’adulte ».

Là où leurs adversaires et eux s’entendent, c’est toutefois sur l’importance de l’Afrique du Sud pour de futures découvertes. Jusqu’ici, le lieu mythique des squelettes pré-humains était beaucoup plus au Nord, aux limites de l’Éthiopie et de la Tanzanie. Mais ces deux nouveaux s’ajoutent à beaucoup d’autres ossements découverts récemment, avec pour résultat qu’on dispose désormais de traces d’australopithèques sud-africains allant de 2,8 millions à 1,9 million d’années. Cela signifie que l’espèce y a hanté ces territoires plus longtemps qu’on ne le pensait, et sous une forme à peine altérée : il devrait donc logiquement subsister bien d’autres ossements à découvrir. Le grand livre de l’évolution n’a pas fini de s’enrichir de nouvelles pages...

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