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C’est l’un des films animaliers les plus troublants des dernières années : des chimpanzés qui ne peuvent se résoudre à abandonner leurs morts. Et en même temps, soulignent les biologistes, c’est un rappel du risque qu’il y a à analyser ce comportement comme s’il était humain.

D’un côté, la mort dans son sommeil d’une vieille femelle chimpanzé, dans un zoo d’Écosse, en décembre 2008. Les caméras montrent ses trois congénères —dont sa fille— agir de façon « remarquablement humaine », pendant ses derniers moments et dans les jours qui suivent.

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De l’autre, la mort de deux bébés chimpanzés en 2003 —âgés d’un an et de deux ans et demi— des suites d’une maladie respiratoire dans une forêt de Guinée, en Afrique de l’Ouest. Leurs mères ont continué de les porter sur leur dos et de chasser les mouches, pendant respectivement 19 et 68 jours : cette année-là, le temps était si sec que les deux corps, au lieu de se décomposer, se sont presque momifiés.

État de détresse de mères incapables d’accepter la mort de leurs petits? C’est ce qu’on ne peut s’empêcher de penser en voyant ces images.

Mais il faut éviter de plaquer nos réactions sur des cerveaux qui ne sont pas les nôtres, rappellent les primatologues interrogés sur deux continents cette semaine. Ces deux exemples de comportements devant la mort diffèrent radicalement de la plupart des observations menées jusqu’ici chez les chimpanzés : une mort brutale est souvent accompagnée d’un concert de cris, après quoi le corps est abandonné; certains mâles ont même été vus en train de cannibaliser les corps d’enfants.

Et pourtant, ces deux anecdotes —le zoo en Écosse et les deux bébés en Guinée— ne seraient pas des cas uniques : Frans de Waal, l’un des plus célèbres primatologues du monde, est intervenu cette semaine pour raconter que lui aussi avait vu de tels comportements chez des singes en captivité, la première fois en 1992 : « des mères chimpanzés qui portent un enfant mort, c'est un fait bien connu, et également rapporté chez d’autres primates, quoique jamais aussi longtemps » que 68 jours.

Ceci dit, ce comportement peut aussi avoir une cause plus prosaïque, plus « simiesque ». Ainsi, la physiologie du singe entraîne un attachement étroit de la part de la mère : son cycle reproducteur connaît un temps d’arrêt pendant quatre ans après une naissance. Ça devient donc « naturel » que « de ne pas abandonner un enfant chaque fois qu’il tombe malade », explique Frans de Waal. Le cycle reproducteur ne reprend son rythme que si elle cesse prématurément d’allaiter.

Difficile, à regarder les films et les photos qui accompagnent ces deux rapports parus cette semaine dans Current Biology, de ne pas croire qu’il y a chez ces animaux une compréhension du concept de mort. Les comportements des trois compagnons de la vieille chimpanzé du zoo, juste avant sa mort et dans les jours suivants, tels que décrits par le psychologue James Anderson, furent inhabituels —l’une, sa fille, qui reste auprès de son corps toute la nuit, sur une plate-forme qu’elle n’occupait jamais auparavant, l’autre qui demande à être gratté et toiletté plus longtemps qu’à l’ordinaire, et tous les trois qui, pendant la semaine suivante, refusent de retourner à cet endroit. « Nos recherches combinées, écrit Anderson, suggèrent fortement que les chimpanzés non seulement saisissent le concept de mortalité, mais qu’ils ont leurs façons de s’en préoccuper. »

Mais cela ne signifie pas, comme certains l'ont suggéré, qu’ils soient capables de penser à leur propre mort. Avoir un sentiment de perte est une chose, se projeter dans le futur en est une autre. Dora Bivo, de l’Université Oxford, qui écrit sur les deux mères de Guinée, demande : « Comprennent-elles ce qui s’est passé? Honnêtement, je ne pense pas que nous pouvons dire. Je ne sais pas à quoi elles pensent. »

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