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Pourquoi les États-Unis ont-ils été incapables cet été d’adopter une loi, même minimaliste, sur le climat et l’énergie, en dépit d’une marée noire qui a frappé l’imagination et d’une opinion publique qui semble plus favorable que jamais?

Les accusateurs pointent comme à leur habitude « les forces du statu quo », mais peut-on les mesurer objectivement, ces forces?

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  • Au début du mois d’août, l’industrie pétrolière publiait ses résultats trimestriels, toujours aussi astronomiques : un profit net de 7,6 milliards$ entre avril et juin pour Exxon, et de 4,4 milliards$ pour Shell. En comparaison, selon l’agence Moody’s, la marée noire devrait engendrer des pertes économiques de 1,2 milliard$... pour l’ensemble de la région du Golfe du Mexique.
  • Une partie de cette richesse peut permettre d’accomplir de grandes choses... en lobbying. En mars dernier, Greenpeace publiait un rapport détaillant de combien la multinationale de l’énergie Koch Industries avait détrôné Exxon comme premier « donateur » des mouvements « climato-sceptiques ».
  • Mais l’enquête la plus fouillée, et de loin, est celle du Center for Integrity, parue en quelques chapitres tout au long de l’année 2009. On y apprend qu’au début de 2009, 770 compagnies avaient embauché 2340 lobbyistes pour influencer les politiques du climat à Washington... Une augmentation de 300% depuis 2003! Cela fait quatre lobbyistes pour chaque élu à Washington.
  • L’une des surprises est à quel point ce « lobby du climat » s’est diversifié : certains travaillent pour des banques ou des firmes de placement, intéressées par une éventuelle bourse du carbone, d’autres pour des compagnies de transports en commun.
  • Les lobbys « pro-énergies alternatives » restent une minorité : ils sont surclassés à huit contre un par les lobbys (pétrole et charbon, Chambre du commerce et Association nationale des manufacturiers) opposés à toute forme de réglementation des gaz à effet de serre.
  • [ ajout, 26 août ] Une enquête du Center for Responsive Politics évalue à 175 millions$ ce que les lobbys du pétrole ont dépensé à Washington en 2009, à l'approche de la Conférence de Copenhague, contre 22,4 millions pour les lobbys environnementaux.

À ces pressions sur les politiciens, le chroniqueur Thomas Friedman ajoute la force d’inertie de l’économie :

Les sociétés publiques d’énergie sont assises en ce moment sur des milliards de dollars créateurs d’emplois —mais elles n’investiront pas dans des projets d’énergies nouvelles tant qu’elles n’auront pas de certitude quant à ce que seront leurs futures obligations en matière d’émissions de carbone.

Le blâme sur Obama

Obama doit-il porter le blâme pour n’avoir pas réussi à contourner ces forces du statu quo? Les écologistes déçus par la mort de la loi américaine sur le climat le 22 juillet (voir l’autre texte), ont plusieurs fois souligné que le président américain avait l’opportunité, cet été, avec la marée noire —et l’incompétence, révélée au grand jour, des autorités américaines face aux géants du pétrole— d’obliger son pays à prendre un virage vert. Il ne l’a pas fait.

Reste que, politiquement, le gros du blâme est du côté des élus républicains, s’indignait dès le 22 juillet le New York Times en éditorial, beaucoup plus bénéficiaires que les démocrates des chèques de l’industrie pétrolière.

Sauf quelques rares exceptions, [ les sénateurs républicains ] ont nié ou balayé sous le tapis le problème du réchauffement planétaire depuis des années, et ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour protéger l’industrie de règlementations pourtant nécessaires.

Ce qui suggère au journaliste environnemental Andrew Revkin, défenseur de longue date de la nécessité d’un virage vert, cette hypothèse qui semblera hérétique aux pro-Obama : peut-être que seul un président républicain pourrait faire prendre aux États-Unis ce virage.

Ce n’est pas aussi étrange que ça en a l’air quand vous considérez l’histoire des grandes lois environnementales. Un républicain modéré pourrait entraîner ses partisans et même plusieurs démocrates, alors qu’un démocrate ne sera probablement jamais capable d’attirer suffisamment de soutien des républicains.

Si tel est le cas, le gouvernement canadien, qui semble attendre que les États-Unis bougent pour bouger lui aussi, pourra se permettre d’attendre quelques années encore. Et en novembre prochain, lors du sommet de Cancun sur les changements climatiques, les forces de l’inertie et du statu quo auront encore les meilleures cartes dans leur jeu.

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