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Les banquiers sauveront-ils la biodiversité? Les graines sont plantées... mais il faudra peut-être attendre longtemps. Pour l’instant, c’est surtout sur un contentieux vieux de 18 ans que les 192 pays en sont arrivés à une entente vendredi dernier, à la dernière heure de la Conférence des Nations Unies sur la biodiversité.

Le contentieux était le suivant : quelles redevances faudrait-il verser à un premier pays (généralement pauvre) lorsqu’un second pays (généralement riche) exploite chez le premier une « ressource génétique »? Lors de la Conférence de Nagoya sur la biodiversité, c’est cet enjeu, appelé Access and benefit sharing, qui a fait l’objet de l’entente la plus solide, plus solide que les promesses de ralentir l’extinction des espèces.

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Le nouveau Protocole de Nagoya contient pourtant, en plus, une promesse d’augmenter la superficie des terres protégées (contre la chasse ou l’exploitation minière, forestière, etc.) de 12,5 à 17%; et d’augmenter la superficie des zones marines protégées de moins de 1% actuellement à 10%. En tout, 20 cibles pour 2020, plus spécifiques que celles qui avaient été fixées en 2002 (et dont aucune n’a été atteinte).

Le problème, soulignent par exemple The Guardian et The Independant, c’est que ces cibles sont purement volontaires, et reposent pour l’instant sur des promesses de financement par les pays riches (seul le Japon, pays hôte, a promis 2 milliards, mais les autres se sont donnés jusqu’en 2012 pour en discuter). Alors qu’à l’inverse, dans le cas du partage des redevances, le Protocole de Nagoya comporte une promesse concrète de partager des revenus qui existent d'ores et déjà... bien que l’entente n’entrera en vigueur qu’en 2020.

« Avant aujourd’hui, nous n’avions pas de règles internationales sur la façon de partager les bénéfices de nouvelles pilules, de nouveaux plants, de nouveaux produits tirés des trésors génétiques du monde en voie de développement », a plusieurs fois résumé, depuis la nuit de vendredi à samedi, Nick Nuttall, porte-parole du Programme pour l’environnement des Nations Unies.

De Copenhague à Nagoya puis à Cancun

Que s’est-il passé pour que cette entente aboutisse, alors qu’une demi-journée plus tôt, tous les médias présents rapportaient un échec possible de cette 10e Conférence des Nations Unies sur la biodiversité?

1) En partie « l’effet Copenhague » : après l’échec de la Conférence de Copenhague sur les changements climatiques en décembre dernier, les délégués et les environnementalistes avaient besoin d’un succès pour se remonter le moral. Il a même été suggéré que le succès de Nagoya servirait à envoyer un signal positif à Cancun, où aura lieu le mois prochain la prochaine rencontre sur les changements climatiques.

2) Et en partie l’économie : les redevances que verseront les industries pharmaceutique, chimique ou cosmétique aux pays en voie de développement dont ils exploitent les « ressources génétiques », se chiffreront en milliards de dollars. C’était suffisamment tangible pour que les pays concernés, dont la Chine et l’Inde, tiennent leur bout.

Ne rien faire coûte cher

En comparaison, l’impact de l’extinction des espèces, lui, ne se mesure pas en espèces sonnantes et trébuchantes.

Du moins, pas encore. C’est pour combler cette lacune que le 13 octobre, juste avant l’ouverture de la Conférence de Nagoya, avait été déposée une étude sur « les coûts économiques » de la dégradation de la nature. Réalisée sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement et dirigée par l’économiste indien Pavan Sukhdev, The Economics of Ecosystems and Biodiversity conclut que la sauvegarde d’un écosystème se traduit... par des profits! Forêts, pêches et même récifs de corail : on peut tous leur attribuer une valeur monétaire, en fonction des revenus qu’ils apportent aux populations locales. Rien que la conservation des forêts par exemple, en permettant l’absorption par les arbres de davantage de gaz à effet de serre, sauverait au moins 3700 milliards de dollars en dommages causés par les changements climatiques, d’ici 2030.

Un tel type de calcul n’est pas une première : en 2006, l’économiste britannique Nicholas Stern avait avancé le même argument dans une étude économique du même type, réalisée à la demande du ministère britannique de l’économie. Stern, un ancien économiste en chef de la Banque mondiale, y avançait que si les gouvernements ne réagissaient pas dans les 10 prochaines années, le réchauffement climatique pourrait coûter à l’économie mondiale la rondelette somme de 7000 milliards de dollars.

L’objectif de ces deux études n’est pas un secret : leurs auteurs veulent fournir aux gouvernements et aux gens d’affaires des arguments pour les convaincre d’embarquer dans le train de la protection de la biodiversité. Dans les mots de Sukhdev, son étude :

peut réorienter la boussole de l’économie et annoncer une nouvelle ère dans laquelle la valeur des services que nous rend la nature sont rendus visibles et deviennent une partie intégrante des processus décisionnels en politique et dans les affaires.

Le 27 octobre, le président de la Banque mondiale, Robert B. Zoellick est venu enfoncer le même clou à Nagoya. Appelant le patrimoine biologique de notre planète son « capital naturel », il a eu le langage du banquier :

La santé naturelle des nations devrait être un capital calculé conjointement avec ses capitaux financier, manufacturier et humain... Les comptes nationaux doivent refléter le service d’entreposage du carbone que nous rendent les forêts et la valeur des récifs de corail dans leur rôle de protection des côtes.

Reste que ces calculs économiques n’ont pas suffi à faire pencher la balance des délégués. La prochaine fois peut-être, dans deux ans?

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