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Les neutrinos voyagent-ils plus vite que la lumière? Peut-être pas, mais les rumeurs, elles, voyagent encore plus vite.

Depuis jeudi, 22 septembre, la planète des physiciens —et des nerds— en bourdonne d’excitation: une expérience hautement complexe aurait démontré que quelque chose pourrait dépasser la vitesse de la lumière, contrairement à ce que la physique prétend depuis plus d’un siècle.

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Ce quelque chose, ce sont des neutrinos, ces mystérieuses particules qui nous bombardent à coup de millions à la seconde, et qui passent à travers tous les obstacles. Même la Terre ne les arrête pas.

Jeudi dernier, c’est en fin de matinée aux États-Unis, et en fin d’après-midi en Europe, que la rumeur commence à enfler. Le texte contenant les résultats de cette recherche n’était pas encore disponible, les auteurs ne s’étaient pas encore exprimés, mais cela n’empêchait pas, en quelques heures, plusieurs médias, blogues et autres twitteux, d’en conclure qu’Einstein venait d’être détrôné.

Comme l’écrirait vendredi matin le chroniqueur du Guardian de Londres: c’est bien frustrant pour tous ceux qui adorent les révolutions, mais le rythme de la science n’est pas celui des médias. Une recherche toute seule ne fait pas une révolution tant qu’elle n’a pas été confirmée par d’autres experts, à plus forte raison une recherche qui prétend ébranler un socle vieux de plus d’un siècle.

Bien que ça puisse être vrai, il y a peu de substance jusqu’ici. Les faits se résument à une seule découverte hypothétique, contredite par d’autres observations de neutrinos qui ont failli à obtenir le même effet. Le travail n’a pas encore été convenablement publié ou révisé par des pairs, encore moins scruté ou reproduit par la communauté scientifique.

60 nanosecondes en 4 paragraphes

«Lancés» du CERN, à Genève, en Suisse, ces neutrinos ont été détectés en Italie, 730 km plus loin, par l’installation OPERA (un modeste détecteur de particules de 1300 tonnes). L’expérience à elle seule est un exploit technologique, abondamment décrit ici et ici, mais l’élément qui intéresse la planète est donc leur vitesse: ils seraient arrivés à destination 60 milliardièmes de seconde plus vite que la lumière. Ce qui semble bien peu, mais suffirait pour réécrire les livres de physique. Si les chercheurs ne se sont pas trompés.

Vendredi matin, le CERN publiait son communiqué et la recherche était déposée sur le site de «pré-publication» ArXiv. Les physiciens pouvaient dès lors commencer à chercher si elle comportait des erreurs ou des omissions —ou non. Un travail qui pourrait prendre bien plus de temps qu’il n’en faudrait pour faire plusieurs allers-retours jusqu’à Pluton, même à la vitesse de la lumière.

Dans l’après-midi de vendredi, grâce à leur conférence de presse, les auteurs contribuaient déjà à éliminer les objections les plus évidentes: oui, ils ont tenu compte du fait que les points de départ et d’arrivée devaient être précis au mètre près (un écart de 60 milliardièmes de seconde est réduit à néant si vous vous êtes trompé de quelques mètres dans vos mesures!). Oui, ils croient avoir pris tous les moyens nécessaires pour connaître le moment de départ du neutrino, à la nanoseconde près.

Paraîtrait même que la théorie d’un raccourci par une autre dimension permettrait d’expliquer cette anomalie, mais ceci vous sera expliqué une autre fois.

Le problème de la supernova

Parallèlement, à partir de jeudi soir, d’autres physiciens, et à leur suite les premiers journalistes scientifiques ayant eu le temps d’amasser l’information nécessaire, s’empressaient de mettre le doigt sur la principale faiblesse de cette «découverte»: une certaine supernova de 1987.

Cette année-là, la lumière d’une étoile qui avait explosé 160 000 ans plus tôt, à 160 000 années-lumière d’ici, nous parvenait. Et avec elle, comme dans toute bonne supernova qui se respecte, un déferlement de neutrinos. En faisant une règle de trois, le physicien Brian Ellis et l’astronome Phil Plait en concluent, chacun de leur côté, que si des neutrinos suisses ont franchi 730 km avec 60 milliardièmes de seconde d’avance, ils auraient dû franchir 160 000 années-lumière avec quatre ans d’avance. Autrement dit, nous aurions dû détecter les neutrinos de cette supernova quatre ans avant de voir la supernova.

Comme ce n'est pas le cas, il y a quelque chose qui cloche quelque part.

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