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Carole Lévesque, anthropologue et nouvelle récipiendaire du Prix Marcel-Vincent de l’Acfas 2011, estime que les savoirs traditionnels sont à la source même de la modernité. Le Réseau DIALOG, qu’elle a initié il y a 10 ans, favorise le rapprochement entre les chercheurs universitaires et le savoir des peuples autochtones. À l’ombre du Plan Nord, ce lieu de rassemblement pourrait éclairer les décisions à venir…

Agence Science-Presse (ASP) – Que représente le prix Marcel-Vincent pour vous?

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Carole Lévesque (CL) — De la reconnaissance, à trois niveaux. Une reconnaissance individuelle, mais également de mon domaine de recherche qui s’avère de plus en plus ignoré. Ce prix apporte aussi une reconnaissance du type d’approche moins classique que je prône. Je me suis engagée très tôt à travailler avec les autochtones pour l’avancement des connaissances visant une société plus égalitaire, plutôt que simplement les étudier.

ASP — Quel est l’objectif du réseau DIALOG?

CL — Au moment de sa création, suite à la Commission royale sur les peuples autochtones, il y a maintenant 10 ans, ce réseau voulait bâtir un pont entre le milieu universitaire et celui des Autochtones. Nous voulions regrouper les chercheurs, les étudiants et les autochtones intéressés par les mêmes questionnements. Créer des ponts entre des traditions intellectuelles moins semblables pour rassembler les nombreux éclairages de la même réalité. On vivait alors de grandes transformations.

L’anthropologie avait eu longtemps le monopole sur les questions autochtones. De nouvelles disciplines, par exemple la linguistique et la géographie, apportaient de nouvelles contributions, même si l’anthropologie restait la plus investie. Il y avait aussi une plus grande présence des Autochtones au sein même du milieu universitaire. Le réseau DIALOG est donc un forum collectif de discussions libres en étroite relation avec les Autochtones, dont plusieurs collaborateurs sont issus de ces communautés. Ensemble, ils partagent et discutent des enjeux majeurs de la société.

ASP — Quelles sont les avancées réalisées depuis 10 ans? Le regard sur les communautés autochtones a-t-il changé?

CL — Il y a une plus grande ouverture à la recherche scientifique, de la part des Autochtones. Je relève aussi une amélioration de la reconnaissance des peuples, non pas comme des «problèmes sociaux», mais plutôt comme des sociétés culturelles avec leur propre tradition intellectuelle. Longtemps exclus des discours, les Autochtones ont retrouvé une place légitime et une certaine visibilité. Bien sûr, il y a encore de l’exclusion et des besoins. Au Québec, on compte 11 nations sans compter les Métis. Les réalités complexes qui touchent chacune restent toujours invisibles sous le terme générique «Autochtone».

ASP — Sur quels domaines spécifiques portent vos travaux de recherche?

CL — Actuellement, je m’intéresse beaucoup à la présence en ville des populations autochtones. On l’oublie souvent, mais 70% d’entre eux vivent dans des villes au Québec. Et il y a une grande circulation entre les communautés et les villes. Ce n’est pas un phénomène récent, mais peu de chercheurs s’y sont intéressés. Je me penche sur leur investissement dans les villes et leurs besoins. Je m’intéresse aussi aux savoirs des Autochtones. Et il y a aussi le Plan Nord...

ASP — Les savoirs autochtones sont-ils toujours utiles dans la société du savoir actuelle?

CL — C’est logique de poser la question comme ça. Et je pense que les Autochtones ont leur place dans la société du savoir que nous sommes en train de bâtir. Les pratiques autochtones ont permis la survie des sociétés autochtones — et des Européens. Ces savoirs ne sont pas ceux de la société québécoise à court terme, surtout si on aborde le savoir d’un côté technologique. Il s’agit plus d’un «savoir au monde», un rapport dynamique avec la nature, les différentes générations.

Lorsqu’on parle de savoirs traditionnels, il ne faut pas se cantonner à la tradition, il s’agit de savoirs séculaires, qui ont traversé les siècles et à ce titre, ils sont modernes. On parle actuellement de «porteurs de savoirs», dans les communautés autochtones. Ce concept s’avère présent depuis longtemps. Ces savoirs ne viennent pas concurrencer ceux développés dans les laboratoires, ils sont d’un autre registre, de l’ordre du relationnel et du rapport au territoire, à la nature.

ASP — Comment abordez-vous le Plan Nord à DIALOG?

CL — Nous n’avons pas le rôle de nous prononcer. Il y a des groupes favorables et d’autres, non. Cela leur appartient. Nous l’abordons plutôt sous l’angle de la connaissance. Nous offrons un soutien et un éclairage basé sur les leçons du passé.

Le développement du Nord du Québec, ce n’est pas nouveau, il n’y a qu’à penser aux mines ou à l’hydro-électricité. Il y a aussi des enjeux inquiétants à ce développement. C’est un peu hallucinant de constater que l’on parle en termes de découverte. Cela fait des millénaires que ce territoire est habité. On dirait que l’on n’a pas tiré d’enseignement de ça. Notre réseau n’est pas militant, mais nous allons rassembler de la documentation pour éclairer les décisions futures des communautés face à ce grand projet. Nous allons les aider à construire leur argumentaire en rassemblant des corpus de connaissances. L’information peut être une arme.

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