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Une semaine après la Conférence de Durban sur les changements climatiques, le seul point commun aux analyses optimistes et pessimistes est qu’il faut sortir des vieux schémas et ne pas se limiter à une vision environnementale.

«Les enjeux sur la table sont plus grands que les niveaux de carbone atmosphérique ou les pratiques forestières ou la façon de créer un fonds pour compenser ceux qui sont les plus affectés par le réchauffement», écrit par exemple John Broder dans le New York Times . Notre avenir réside plus dans les technologies que dans les diplomates, critique le New Scientist en éditorial.

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Ce n’est pas comme si «voir plus grand» était une idée nouvelle. En 2008, un groupe de gens d’affaires publiait Vision 2050: The New Agenda for Business , qui contenait pas moins de 350 idées ou étapes sur des routes à suivre pour, d’ici 2050, minimiser les ravages causés par le réchauffement et le déclin des ressources, dans un monde qui comptera alors 9 milliards d’habitants. La plupart de ces idées nécessitent une coopération internationale, et surtout une coopération entre des groupes qui ont peu l’habitude de se parler: organismes non gouvernementaux et entreprises. Et gouvernements.

Si rien ne donne l’impression de démarrer, c’est parce qu’il est toujours plus facile de se concentrer sur le court terme que le long terme, résume cette semaine un des co-auteurs de ce Vision 2050, Robert E. Horn:

Nous avons toujours de grandes difficultés à ajuster notre esprit à des problèmes larges et complexes... Une planète et une civilisation durables en sont certainement des exemples.

Les environnementalistes devraient-ils aller jusqu’à «abandonner Kyoto» pour «voir plus grand»? Juste avant Durban, Nature avait publié un texte d’opinion en ce sens. Le Protocole de Kyoto, y alléguait Elliot Diringer, avait son utilité en 1997, mais serait devenu, en 2011 un obstacle au progrès des négociations. En 2010, c’est Bill McKibben —l’homme qui a contribué à faire grossir le mouvement d’opposition au pipeline Keystone cet été— qui disait que les environnementalistes s’étaient enfermés dans une impasse en consacrant autant d’énergie à la diplomatie des Nations Unies, et qu’il leur fallait repenser leur stratégie.

«Peut-être que c’est au niveau des valeurs qu’il faut opérer des changements», suggère René Audet, sociologue de l’environnement à l’UQAM, dans le cadre de Je vote pour la science . Il cite l’écologiste québécois Pierre Dansereau, décédé cette année, qui disait qu’on a beau étudier les écosystèmes, en fin de compte, «ce qui va déterminer notre rapport à l’environnement, c’est notre paysage intérieur».

La vie est dure pour les environnementalistes

À la défense des environnementalistes, il faut savoir qu’en 2011, ils ne l’ont pas eu facile. Dans une analyse sévère, la journaliste spécialisée en environnement Leslie Kaufman écrit dans le New York Times du 17 décembre :

On aurait peine à trouver un autre moment, dans les 40 dernières années, où il a été plus difficile d’être un chef de file du mouvement environnemental américain. La Terre se réchauffe, peut-être catastrophiquement, et pourtant les efforts législatifs pour limiter les émissions de carbone se sont effondrés en 2010.

Elle parle des États-Unis, mais avec le retrait du Canada de Kyoto, les écologistes du nord s’y reconnaîtront sûrement.

Or, la situation des environnementalistes est encore plus périlleuse, à en croire Kaufman:

Sur le front stratégique, certains de ces groupes sont devenus plus prudents dans leurs campagnes contre le réchauffement climatique, craintifs face à une opinion publique mitigée. Une approche à trois volets émerge: combattre le réchauffement en se concentrant sur des préoccupations immédiates et locales; revigorer les mouvements citoyens à travers les médias sociaux et les manifestations de rue; et l’importance d’influencer les élections.

Difficiles alliances

Le cri du coeur de la représentante des jeunes à Durban prend alors un autre sens. Lors de son discours de clôture devant les délégués, le 9 décembre, l’étudiante américaine Anjali Appadurai, 21 ans, a eu cette phrase-massue: «Vous avez négocié toute ma vie!»

Je parle pour plus de la moitié de la population mondiale. Nous sommes la majorité silencieuse. Vous nous avez donné un siège dans cette salle, mais nos intérêts ne sont pas sur la table. Que faut-il pour avoir une part dans ce jeu? Des lobbyistes? Une influence corporative? De l’argent? Vous avez négocié toute ma vie. Pendant ce temps, vous avez manqué à vos engagements, raté vos cibles, et brisé vos promesses.

Robert E. Horn lui répondrait qu’à ses yeux, les fossés entre les militants écologistes et le monde des affaires ne sont pas aussi grands: «la polarisation des médias grossit des désaccords». Mais il faut d’autant plus travailler à résoudre ces désaccords que, quoi qu’en pensent les écologistes, aucun changement ne se fera sans le monde des affaires.

Nous avons grandement besoin de savoir exactement jusqu’à quel point s’accordent les visions du secteur des affaires et des autres, parce que le secteur des affaires va certainement être le principal instrument de mise en oeuvre du gros de ce travail.

C’est le même espoir que voit poindre le New Scientist pour 2012, lorsqu’il écrit dans son dernier éditorial que notre avenir réside davantage dans les technologies que dans les diplomates.

Alors même que la diplomatie climatique s’est figée, les technologies vertes ont fleuri. Dans le salon des exposants et les salles de réunion à Durban, un grand nombre d’experts en technologies faisaient la promotion de leurs idées pour réduire les émissions. Depuis les édifices intelligents jusqu’à l’utilisation de sols africains comme puits à carbone.

Changer le discours

Quant aux autres pistes que devraient explorer les environnementalistes pour «voir plus grand», certaines commencent à émerger. En fait, elles se résument souvent en un concept pas si difficile à comprendre: se mettre dans la peau de son vis-à-vis quand on lui parle.

Un exemple servi par Michael Brune, 38 ans, devenu en 2010 le directeur du Sierra Club. Il a élargi la campagne Beyond Coal —dont le but est de fermer des centrales au charbon— aux quatre coins des États-Unis et pour cela, il a moins mis l’accent sur le réchauffement climatique et davantage sur l’asthme chez les enfants.

Il est plus efficace d’organiser quelque chose autour «d’une centrale à côté de chez nous qui a des impacts sur la santé» que sur «une entente obscure et complexe sur le climat».

Parfois, le changement de paradigme se fait encore plus naturellement: comme peuvent en témoigner les Québécois, la campagne contre le gaz de schiste, plutôt que de se concentrer sur les émissions polluantes, s’est intéressée aux risques sur l’eau potable. De même, l’opposition américaine au pipeline canadien Keystone s’est nourrie des craintes pour la nappe phréatique, là où passerait le pipeline.

2012 verra-t-il un tel changement de paradigme? Pour l’instant, l’entente de Durban donne un répit de quatre ans aux diplomates, en repoussant à 2015 toute décision sur un futur traité international. Le temps nécessaire aux mouvements écologistes locaux pour repenser leurs stratégies? Comme d’autres l’ont dit au congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences en février dernier, il est temps de changer de culture avant de frapper un mur.

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