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Michel Dorais a touché une corde sensible avec son dernier essai, La sexualité spectacle. Le sociologue, professeur à l'Université Laval, explore l’omniprésence de la sexualité dans les médias, la culture, le divertissement, ainsi que notre voyeurisme et notre exhibitionnisme, avec un regard critique, mais sans leçons de morale.

 

«Je ne peux pas aller au Provigo ou à la pharmacie sans que des gens me parlent de mon livre!», confie l’auteur. Et la réaction de ses collègues? «C’est considéré comme un sujet léger, pas sérieux.» Pas sérieux?

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La sociologie, comme chacun sait, étudie les interactions sociales. Étonnamment, peu de sociologues s’attardent par exemple au désir, à l’intimité, etc. qui sont pourtant si présents dans nos relations sociales.

«Quand j’ai commencé à travailler sur la sexualité, il y aura 35 ans cette année, on me disait deux choses, confie Michel Dorais. D’abord, que ce n’est pas un sujet légitime en sociologie, que c’est une pulsion. Et c’est peut-être pour ça d’ailleurs que la psychologie, la médecine, la biologie et la sexologie en parlent le plus. On pense que c’est quelque chose d’inné, de naturel. En sciences pures, si on travaille sur les pulsions, sur les déterminants du désir, là c’est légitime.»

«Deuxièmement, il y avait le préjugé sexiste suivant: l’amour et le sexe sont des sujets scientifiques tellement légers que si quelqu’un finit par s’y intéresser, ce sera une femme. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de fois qu’on m’a dit : “Ce ne sont pas des sujets de gars”. Comme si l’amour et la sexualité n’intéressaient pas les hommes!»

Quelques exceptions

Ce n’est pas que les sociologues boudent les relations hommes-femmes. Depuis une trentaine d’années, les études sur le genre (ou les «rapports sociaux de sexe») ont pris beaucoup d’ampleur au Québec: les études féministes, sur l’homosexualité, sur les minorités sexuelles, sur les réalités masculines. La sociologie nous permet ainsi de mieux comprendre le discours des féministes lesbiennes, la construction de l’identité féminine ou masculine dans la famille, les inégalités au travail, etc.

Mais la discipline manifeste beaucoup moins d’intérêt pour la séduction, l’imaginaire amoureux et érotique, la sexualité et ses représentations.

À l’occasion, une étude tente de mieux comprendre notre culture amoureuse. Par exemple, une étudiante à la maîtrise en sociologie de l’UQAM, Isabelle Bergeron, a signé en 2004 un mémoire intitulé La formation des représentations de l’amour au Québec dans la société néolibérale. Elle y décrit les contradictions entre un imaginaire amoureux très romantique et fusionnel, d’une part, et l’idéal d’autonomie et de liberté individuelle de la société marchande, d’autre part. Une excellente piste pour saisir à quel point le couple est si fragile de nos jours.

Hélène Belleau, professeure à l’INRS Urbanisation Culture Société, se distingue par ses recherches sur «l’usage social» de l’argent dans la vie conjugale et sur l’encadrement légal des unions. L’an dernier, elle a fait publier Quand l’amour et l’État rendent aveugle. Le mythe du mariage automatique (PUQ).

En entrevue, Hélène Belleau s’attarde à l’un des faits saillants de son ouvrage: «Malgré toutes les statistiques sur les séparations et les divorces, il y a très peu de couples qui, au début de leur relation, anticipent la rupture. Pourquoi les couples ne discutent pas d’argent, ne vont pas chez le notaire pour une entente? Parce qu’un des codes de l’amour, c’est que la relation doit durer toujours.» Comme dans les contes de fées.

«Je suis un peu toute seule, peu de sociologues s’intéressent à ça, souligne-t-elle. Il faut dire que le bassin de chercheurs est relativement restreint au Québec et les sujets de recherche, nombreux.»

Un autre cas d’espèce, Richard Poulin à l’Université d’Ottawa, a consacré une partie de sa carrière à l’étude de la pornographie et de la prostitution. Son ouvrage La mondialisation des industries du sexe (2005) demeure sans équivalent. Ce sociologue a longtemps éprouvé des difficultés à financer ses recherches sur la pornographie, la traite des humains, etc. Aujourd’hui, il a jeté l’éponge.

Préjugés

Michel Dorais se sent moins seul au contact de la relève. «Depuis quatre ou cinq ans, j’ai des étudiants au doctorat qui s’intéressent à des sujets assez pétés»: la violence sexuelle entre femmes, l’homophobie dans les magazines féminins, les courriers du cœur.

Mais les préjugés ont la vie dure. « Mes étudiants se font dire: “Pourquoi tu travailles là-dessus? Aurais-tu un problème personnel? ”, Mais les étudiants qui travaillent sur la pauvreté, on n’ira jamais leur demander s’ils ont un “problème”.»

«Quand je pense à tous les livres que j’ai écrits, il n’y a pas un “problème” que je n’aurai pas vécu!», s’esclaffe l’enseignant. Il faut savoir qu’il a publié des essais sur la prostitution juvénile et sur les agressions sexuelles, entre autres.

 

 

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