dreamstime_xs_23494332.jpg
Conversations sur les paradis fiscaux, le travail au noir ou l'évasion fiscale, le mois de mars était aussi celui de la prévention de la fraude.

Le campus de Longueuil de l’Université Sherbrooke accueillait récemment des chasseurs de fraude à la 4e édition du colloque annuel sur la prévention de la fraude. Messaoud Abda, directeur du programme de lutte contre la criminalité financière de l’Université de Sherbrooke et organisateur de l’événement, lève le voile sur les dessous d’un fléau familier.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Agence Science-Presse (ASP) — Lorsqu’on parle de fraude, de quoi parle-t-on exactement?

Messaoud Abda (MA) — La fraude, c’est infini. C’est un phénomène social, on la retrouve partout. Elle cause des dommages à autrui et au système. Par exemple, s’il y a un «spécial» sur la dinde au magasin et que j’achète toute la marchandise, je fais de la spéculation, ce qui fait monter le prix et pénalise le consommateur, c’est aussi de la fraude. Dans certains cas, on peut se demander s’il s’agit d’une erreur, mais lorsque c’est fréquent et qu’il y a un gain, il s’agit bien d’une fraude. L’élément-clé est l’abus de confiance.

ASP — Le Québec a connu quelques affaires récentes...

MA — On peut citer l’affaire Cinar ou encore Dalpé. Ici, ce qui fait souvent les manchettes, ce sont les affaires de courtiers malhonnêtes. Ça touche à l’argent, c’est pour cela qu’on en parle tant. Mais on pourrait aussi parler de marketing téléphonique frauduleux, de prêts usuriers, d’agence de placement pour du travail au noir, des fraudes au port de Montréal ou à l’aéroport. La fraude consiste à utiliser son poste pour commettre un acte criminel en brisant le lien de confiance avec l’employeur ou la victime. Lorsqu’on parle d’abus de confiance, il n’y a qu’à penser à l’affaire Norbourg et ailleurs celle d’Earl Jones ou encore les anciens dirigeants de Nortel Networks.

ASP — Est-ce qu’il y a un portrait type du fraudeur?

MA — La fraude n’est pas innée. Les fraudeurs saisissent une opportunité. Ça peut être n’importe qui. On ne les voit pas venir, car pour la plupart, il s’agit de la 1re fois. Il y a seulement 5% de récidivistes. Le fraudeur est aussi déconnecté de la réalité prétendant qu’il n’avait pas le choix d’agir: l’appât du gain, les dettes, la pauvreté, les problèmes de santé sont autant de raisons qui poussent une personne à commettre une fraude. Sans parler des intermédiaires, on n’en parle jamais, mais c’est un élément important: le complice qui fait le lien entre le fraudeur et la victime.

ASP — Parlez-nous du camp d’en face, les «chasseurs de fraude» et les moyens de lutte contre ces crimes...

MA — Il y a les avocats, les financiers, les administrateurs, les policiers, les conseillers en stratégie financière, etc. Le fraudeur se trahira souvent par son comportement, avec des achats et un niveau de vie suspect. Les signes de richesse extérieure et les dépenses nous permettent de faire du profilage. Il y a aussi le contrôle interne, la vérification de la signature, des documents originaux. Avec l’informatique, comme le super calculateur de l’Université Sherbrooke, nous avons une capacité technologique inégalée. Cela nous permet de travailler sur les signaux d’alerte, la reconnaissance de visage. La lutte contre la fraude s’appuie avant tout sur la sensibilisation. Plus on en parle, mieux c’est. Mais nous ne pouvons pas faire de la prévention à 100%. Car lutter contre la fraude, c’est aussi chercher quelque chose –faits et gestes— qu’on ne voit pas.

ASP — Avec l’arrivée d’Internet sont arrivés les spams frauduleux. Quelles sont les nouvelles fraudes?

MA — La technologie crée des opportunités. Le téléphone qui ouvre la voiture et la maison, qui contient tous nos contacts et informations personnelles devient un excellent outil pour les voleurs. C’est pour cela qu’il faut sécuriser l’accès à nos banques de données. Parmi les nouvelles fraudes, on compte aussi la fraude au financement des compagnies. En situation de rareté de capital, il arrive que certains s’inventent des projets fictifs, que la banque financera par un crédit, pour aller chercher des fonds auxquels ils n’auraient pas droit. Ce n’est pas nouveau, mais les fraudes à l’interne se multiplient actuellement. Moins spectaculaires qu’un vol de banque, il existe toutefois des moyens pour les réprimer.

ASP – A s’adressait le Colloque annuel sur la prévention de la fraude?

MA — C’est un colloque national qui s’ouvre un peu sur l’international, car nous avons des invités des États-Unis. Nous y parlons des collaborations et des avancées d’ici. Nous mettons de l’avant une approche intégrée, et non seulement comptable, financière ou fiscale. La clé est la collaboration entre l’industrie, la police, la justice et les chercheurs qui ne parlent généralement pas le même langage. Nous y accueillons des étudiants de 2e cycle, des professionnels, des enquêteurs, des présidents d’entreprise, des comptables, des avocats. C’est comme un «petit Davos» anti-fraude.

Je donne