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Comme ça arrive souvent, au commencement était un microbe. Un E. coli, qui a servi à engendrer 12 lignées génétiquement identiques de E. coli. Vingt-quatre ans plus tard, un nouveau trait est apparu, qui n’existait pas auparavant.

Richard Lenski est un cas: s’il est normal qu’un biologiste de l’évolution s’intéresse à l’évolution, ils sont peu nombreux à avoir... observé l’évolution! Chaque jour, chacune de ses 12 familles reçoit un maigre régime en glucose. Le jour suivant, les survivants sont transférés dans un flacon frais contenant le même maigre déjeuner. Répétant l’opération jour après jour après jour après jour, depuis 24 ans, ses collègues et lui en sont maintenant à la 55 000e génération.

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Et comme on s’en serait douté, les bactéries ne sont pas demeurées des jumelles identiques: elles ont évolué, parfois dans des directions inattendues. L’une des 12 familles a par exemple connu une «explosion démographique» imprévue en 2003. Les microbiologistes ont alors constaté qu’elles avaient effectué un virage: plutôt que de continuer à se nourrir du glucose fourni par les humains, elles ont choisi du citrate contenu dans la «soupe» dans laquelle elles se multiplient. Ce n’est pas de la nourriture pour elles, ou du moins, ça n’était pas censé en être. Pour autant que puissent en juger les biologistes, dans la nature, jamais E. coli n’aurait été capable d’effectuer ce virage.

Lorsque l’expérience a commencé en 1988, à l’Université d’État du Michigan, les technologies de décodage des gènes n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. L’équipe Lenski a donc eu la bonne idée, toutes les 500 générations, de mettre certaines bactéries au congélateur, ce qui permet aujourd’hui de reculer dans le temps et de comparer ce qui a changé. C’est ainsi que des chercheurs ont pu trouver en 2008 qu’un petit groupe de bactéries avait tout doucement commencé à être capable de se nourrir de citrate «aux environs de la génération 31 000».

Aujourd’hui, un des anciens étudiants de Lenski, Zachary Blount, publie finalement dans Nature un article détaillant cette évolution «prise sur le fait». Qui implique, on s’en doutait, une mutation accidentelle, qui a permis à ce microbe de faire quelque chose qu’il était incapable de faire auparavant —et qui a pour conséquence qu’en «seulement» quelques milliers de générations, sa population s’est mise à grimper en flèche.

Plus intrigant. Ces chercheurs ont également décongelé des bactéries parmi les plus anciennes, et ont relancé l’horloge de l’évolution, dans le but de voir si cette capacité à digérer le citrate réapparaîtrait. La réponse a été positive, mais seulement chez des bactéries nées après la génération 20 000.

Cela signifie que le changement est plus complexe qu’il n’y paraît: ce n’est pas juste une mutation apparue vers la génération 31 000 qui a pris peu à peu ses aises. La mise en place d’un certain décor —une ou d’autres mutations encore inconnues— était nécessaire longtemps auparavant.

«Longtemps», du point de vue d’une bactérie.

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