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«Si on met un nez rouge à un scientifique, le résultat risque d’être médiocre. Mais quand un vrai clown fait réfléchir aux relations science et société, le résultat est étonnant…» Étonnant? Le thème du festival Des clowns et des sciences l’était tout autant.

Au printemps 2012, à Paris, des dizaines de curieux ont pourtant assisté à la première édition de cet évènement humoristique décalé. En marge, un colloque sur l’univers croisé des clowns et de la science a permis de faire murir une idée chère à Richard-Emmanuel Eastes, l’un des organisateurs: le clown est un formidable médiateur des sciences.

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Un principe a priori saugrenu pour qui n’y a jamais réfléchi. Richard-Emmanuel Eastes, lui, est un spécialiste. Professeur agrégé de chimie à l’École normale supérieure, il est aussi fondateur de l’association Les Atomes Crochus qui produit, depuis plus de 10 ans, des actions de formation et de médiation scientifique ludiques et spectaculaires, du haïku au rap de science, en passant par le jonglage et le multimédia scientifique.

Autocensure

«Le clown n’est pas nécessairement le personnage le plus approprié pour faire passer des contenus scientifiques, explique-t-il d’emblée. Il n’est d’ailleurs souvent pas un très bon vulgarisateur. Par contre, c’est un personnage extraordinaire pour interroger nos liens avec la connaissance. Il permet bien sûr de dédramatiser la science, mais il permet aussi et surtout de lutter contre l’autocensure des enfants vis-à-vis du savoir.»

Un aspect fondamental dans une société qui met la connaissance scientifique et technologique sur un piédestal souvent bien intimidant.

«Quand on met en scène un scientifique, même un comédien, il parle toujours du haut de son savoir, car il possède une connaissance à laquelle le public n’a pas accès, poursuit monsieur Eastes. Le clown, au contraire, parle du bas de sa naïveté. Il progresse toujours un petit peu moins vite que son public parce qu’il est naïf, qu’il expérimente, se trompe, fait des bêtises. Le scientifique, réel ou fictif, va essayer de tirer son public à lui. Le clown, lui, pousse son public devant lui. Dès lors, n’importe quel enfant, même en difficulté, se sent intelligent face au clown de science.»

Le concept d’erreur, qui est au cœur de la démarche scientifique, est par exemple un terrain de jeu idéal pour le personnage du clown qui l’utilisera pour désinhiber les enfants face à leurs propres erreurs. «Le clown se sert de l’erreur pour progresser. Au début, il la vit comme un échec, ce qui fait rire, d’autant plus que souvent quand il se trompe, le public l’a perçu avant lui. C’est excellent pour l’estime de soi et pour lutter contre l’autocensure qui est souvent centrale dans les problèmes d’apprentissage.»

La science tenue à distance

Même si certaines compagnies de clowns utilisent ces personnages pour passer des contenus scientifiques —comme L’Île Logique, qui co-organisait le festival avec Les Atomes Crochus—, il semblerait que ce personnage malhabile et toujours enclin à faire des gaffes gagne à être utilisé comme médiateur. «C’est ce qui fait la différence entre un clown scientifique et un clown de science. Le premier passe de la matière, alors que le second est utilisé comme un prétexte pour faire réfléchir.»

Dans le cadre d’un spectacle de clowns, l’image du scientifique en sarrau blanc n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du clown blanc triste et sérieux. Un parallèle qu’a déjà expérimenté Richard-Emmanuel Eastes à l’époque où Les Atomes Crochus proposait des spectacles mettant en scène à la fois un scientifique et un clown farceur.

«On a vite arrêté cette formule. D’abord, l’embauche de deux comédiens revenait trop cher, notamment pour les écoles. On s’est aussi rendu compte que, spontanément, les enfants vouvoyaient le scientifique et tutoyaient le clown, ce qui n’était pas l’idée! Et puis, quand le scientifique est sur scène, on donne trop d’importance au savoir, alors que quand on a juste un clown, la science est mise à distance.»

En pratique, les formules sont nombreuses: le scientifique peut par exemple téléphoner au clown, ou lui laisser son cahier de laboratoire. Une autre formule de la compagnie Ursule Fabule consiste à faire ouvrir au clown un paquet contenant des produits chimiques et à remettre aux spectateurs, à la sortie, une fiche d’information à caractère scientifique que les enseignants pourront éventuellement utiliser en classe.

Les pieds dans le plat

La spontanéité et la naïveté du clown font aussi de lui un excellent candidat pour aborder des questions fondamentales. «Le clown n’a pas de tabou, il est un peu impertinent, donc on ne lui en veut pas de poser les questions qui fâchent.»

Et les idées ne manquent pas: la prochaine édition du festival Des clowns et des sciences pourrait réserver d’intéressantes surprises. «Traiter d’expérimentation animale serait par exemple une voie très intéressante à explorer. Le clown peut donner vie à n’importe quel objet sur lequel le public transposera naturellement ses émotions. Il pourra donc se livrer à des expériences dessus, même le couper en morceaux, sans que cela ne devienne une boucherie. S’il le faisait sur un animal en peluche ou sur une poupée, ça ne passerait pas du tout.»

Pas de vernis

Mais si le clown a sa place comme médiateur scientifique, on aurait tort de penser que, pour Richard-Emmanuel Eastes, la science n’est qu’un spectacle de cirque… «L’humour n’est pas un vernis pour que les gens se rapprochent des sciences. Je n’aimerais pas qu’on croit qu’il suffit de faire de l’humour avec les sciences pour lutter contre la désaffection pour les études scientifiques ou pour résoudre les conflits science et société. C’est malheureusement plus complexe que cela», dit-il.

Exploiter la voie de l’humour pour rapprocher les plus jeunes des carrières scientifiques est ici une démarche réfléchie qui, si elle est correctement perçue par le public, est porteuse de bien des promesses.

«Il m’est déjà arrivé qu’une maman vienne à la fin d’un spectacle me dire combien son fils avait adoré la prestation et qu’il souhaitait donc devenir chimiste. J’avais envie de lui dire que ce qu’il a vu peut lui avoir donné envie de devenir clown… mais certainement pas chimiste. Par contre, si le spectacle lui a donné la confiance en lui nécessaire pour dire “moi aussi je peux y arriver”, alors j’aurais gagné mon pari», conclut-il.

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