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Sa lutte pour un accès libre aux recherches scientifiques a-t-elle tué Aaron Swartz, cet activiste d’Internet qui a mis fin à ses jours vendredi dernier? Chose certaine, des chercheurs y croient, eux qui ont mis en ligne par centaines, en hommage au disparu, des PDF de leurs travaux censés être derrière un mur payant.

 

Les causes de sa mort, le 11 janvier, sont certainement plus complexes, comme dans chaque tragédie où la dépression était présente. Mais les passionnés d’un Internet libre, dont il s’était fait un héraut, n’ont pas manqué de faire le lien. Et sa famille, dans son message officiel, a blâmé le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour n’avoir pas soutenu l’homme de 26 ans dans la poursuite en justice que les autorités américaines avaient déclenchée contre lui.

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Aaron Swartz faisait face à une poursuite pour avoir téléchargé en 2011, depuis le réseau informatique du MIT, 4,8 millions d’articles de JSTOR, site d’archivage payant de publications universitaires. Il avait profité d’un trou dans le serveur du MIT: cette possibilité de s’ouvrir un compte «invité» valable pour deux semaines, puis un autre, et ainsi de suite. Le MIT ayant découvert son subterfuge, sa dernière «intrusion» avait consisté à enfermer son portable dans un placard du MIT pour le récupérer le surlendemain, le téléchargement terminé.

Comme l’écrivait en septembre le journaliste Timothy Lee, d’Ars Technica, si le geste était illégal, la riposte de la justice américaine semblait disproportionnée :

Il n’y a pas d’excuses pour s’introduire dans le placard d’un réseau privé et installer de l’équipement sans permission. Mais le gouvernement semble avoir perdu tout sens des proportions. Et l’apparente théorie légale soutenue par le gouvernement —utiliser un site web d’une façon qui contrevient aux conditions d’utilisation constituerait du piratage informatique— pourrait avoir de sérieuses conséquences.

 

Légende d’Internet à 14 ans

Longtemps avant d’en arriver à l’information libre, Swartz s’était tout d’abord fait connaître en 2001 pour avoir contribué à développer —à 14 ans!— le RSS: les «fils RSS», bien que moins connus aujourd’hui dans l’ère Twitter, ont permis à des millions de personnes de se tenir automatiquement à jour sur les nouveaux contenus de leurs sites préférés. Swartz avait ensuite contribué à créer la licence Creative Commons puis, dans un autre registre, Reddit, site de réseautage social, dont la vente à l’éditeur Conde Nast a fait de lui un homme riche —à 18 ans.

Mais c’est la rédaction de son Guerilla Open Access Manifesto qui, en 2008, en a fait officiellement un apôtre de l’information libre, et l’a conduit au téléchargement de ces 5 millions d’articles.

La somme du patrimoine scientifique et culturel de l’humanité, publié au fil des siècles dans des livres et des journaux, est de plus en plus numérisée et verrouillée par une poignée de compagnies privées Vous voulez lire les articles présentant les avancées les plus célèbres en science? Vous devrez payer des sommes énormes à des éditeurs tel que Reed Elsevier.

 

(...) Il y a quelque chose que nous pouvons faire : nous pouvons contre-attaquer. Ceux qui ont accès à ces ressources —étudiants, bibliothécaires, scientifiques— vous avez un privilège. Vous pouvez vous nourrir à ce banquet de connaissances pendant que le reste du monde en est empêché. Mais vous n’êtes pas tenu —en fait, moralement, vous ne pouvez pas— garder ce privilège pour vous seul. Vous avez le devoir de le partager avec le reste du monde.

 

Beaucoup des promoteurs du mouvement d’accès libre aux données scientifiques se reconnaissaient dans ces mots, et ils n’ont pu s’empêcher d’applaudir au coup d’audace de 2011, au MIT.

Swartz a par la suite remis à JSTOR le disque dur contenant les téléchargements et JSTOR (qui est un service à but non lucratif) a abandonné les poursuites. Mais pas le procureur de l’État du Massachusetts: un procès devait s’ouvrir en avril, et si Aaron Swartz avait été reconnu coupable, la peine aurait pu aller jusqu’à 35 ans de prison et un million de dollars d’amende, selon divers médias.

Le chroniqueur de gauche Glen Greenwald y voit un épisode de la bataille plus large que mène le gouvernement américain à l’information qui circule sans contrôles sur Internet —une guerre marquée par WikiLeaks et par des projets de loi moins connus comme le SOPA (Stop Online Piracy Act), déposé à Washington en octobre 2011 et retiré face à une violente opposition d’internautes.

S’il est difficile de prédire à quoi ressemblera l’ensemble d’Internet dans 20 ans, en revanche, pour ce qui est de la science, la tendance vers l’accès libre semble très nette. C’est ce qu’écrivait le journaliste Timothy Lee en septembre, indigné par la poursuite:

Swartz a clairement l’histoire de son côté. Le modèle actuel de distribution des travaux académiques, dans lequel les universitaires de différents domaines abandonnent leur droit d’auteur à des éditeurs commerciaux qui les re-vendent avec un énorme profit, est fondamentalement brisé.

 

Dans ce contexte, les nombreux hommages à Aaron Swartz depuis le 11 janvier pourraient avoir pour avantage de souligner auprès d’un plus large public l’absurdité de cette situation où la justice d’un pays traite comme du piratage le fait de rendre accessibles des articles universitaires que les contribuables de ce même pays ont financés par leurs impôts. Dans les mots de celui qui fut l’ami et mentor d’Aaron Swartz, le juriste Lawrence Lessig :

Dès le début, le gouvernement a travaillé aussi fort qu’il le pouvait pour caractériser ce qu’avait fait Aaron dans les termes les plus extrêmes et absurdes. La « propriété » qu’Aaron avait « volé », nous a-t-on dit, valait des « millions de dollars »... Mais quiconque prétend qu’il y a des profits à faire avec une pile de recherches universitaires est un idiot ou un menteur.

 

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