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Lorsqu’on découvre qu’une prestigieuse étude en économie, qui a été citée des centaines de fois, contient une erreur de débutant, qui est le plus à blâmer? Les auteurs... ou ceux qui les ont cités?

Mardi dernier, 16 avril, un chercheur américain, Mike Konczal, semait la pagaille parmi les défenseurs de la théorie économique de l’austérité: c’est-à-dire ceux pour qui la crise économique dans laquelle nous vivons depuis 2008 ne sera résolue que par une vigoureuse réduction des dépenses gouvernementales, dans le but premier de réduire la dette. Ce que révélait Konczal, c’était qu’une des principales justifications des politiques d'austérité ces dernières années, une étude signée par deux économistes de Harvard en 2010, s’appuyait en partie... sur une erreur d’encodage dans un tableau Excel.

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C’est déjà assez gênant pour que les réseaux sociaux bruissent depuis quelques jours du mot-clef Excelgate. Mais la curiosité se dirige à présent vers le nombre d’économistes et autres chercheurs —au moins 500 articles universitaires— qui ont répercuté les conclusions de leurs collègues, sans jamais vérifier leurs calculs.

Les premiers à s’y être attelés sont trois économistes de l’Université du Massachusetts. En gros, ils concluent que Rogoff et Reinhart avaient commis trois erreurs, dont celle du tableau Excel. Ils avaient notamment exclu du calcul du taux de croissance cinq des pays à la dette élevée (dont le Canada).

Mises bout à bout, ces trois erreurs annulent la conclusion de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff qui était devenue la base «scientifique» des politiques d’austérité: leur «calcul» semblait en effet démontrer que, passé le seuil magique où la dette représente 90% du PIB, un pays basculerait du côté de la dépression —d’où l’urgence de couper dans les dépenses. Or, une fois l’erreur corrigée, ces pays connaissent plutôt une croissance de 2,2%.

Depuis 2010, d’autres avaient tout de même mis en doute ce seuil de 90%. Mais personne n’avait eu accès à la totalité des tableaux de Reinhart et Rogoff: le trio de l’Université du Massachusetts est donc le premier à avoir pu tenter de «reproduire leur expérience».

Dans son blogue du New York Times, l’économiste Paul Krugman s’en prend aux chercheurs (et aux nombreux chroniqueurs de droite) qui ont malgré tout, depuis 2010, utilisé ces calculs sans jamais pouvoir les vérifier.

C’est l’équivalent de décider ce en quoi vous voulez croire, de trouver quelqu’un qui dit ce que vous voulez entendre, et de prétendre qu’il n’existe aucune autre voix. C’est hautement irresponsable —et vous ne pouvez pas blâmer Reinhart-Rogoff pour cette erreur.

Son collègue blogueur Matthew Yglesias va plus loin, prédisant que les économistes qui s’appuyaient depuis trois ans sur Reinhart-Rogoff, chercheront à présent d’autres études sur lesquelles s’appuyer, plutôt que de remettre en question leurs opinions.

En janvier 2010, ces deux économistes de Harvard jouissaient d’une certaine célébrité dans les milieux économiques et politiques avec un livre récent sur la crise financière ( Cette fois c’est différent. Huit siècles de folie financière ). Et leur article était sorti tout juste après la crise en Grèce, fournissant un prétexte supplémentaire pour imposer des politiques d’austérité —plutôt que leur contraire, des politiques d’investissements gouvernementaux visant à relancer l’économie en créant de l’emploi.

En attendant, ironise Krugman —lui-même un opposant aux politiques d’austérité en temps de crise— on est en présence d’une erreur Excel qui a, grosso modo, «détruit les économies du monde occidental». Une paille.

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