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Les grandes plaines d’Afrique, avec leurs zèbres et leurs éléphants et leurs girafes, sont loin d’être cette nature à peu près intacte, restée telle quelle depuis des millions d’années. La main de l’homme a apparemment décimé la majorité des carnivores qui régnaient sur ce continent, après qu’un certain primate soit descendu de son arbre.

C’est ce que tendent à confirmer les récentes découvertes en paléontologie: la balance de la responsabilité pencherait davantage vers l’humain que vers le climat. Selon le paléontologue suédois Lars Werdelin, qui mène ce travail depuis près de 20 ans avec Margaret E. Lewis, du Collège Richard Stockton, au New Jersey, «les lions, les hyènes et autres grands carnivores de l’Afrique de l’est, ne représentent qu’une petite fraction de la diversité qu’avait jadis ce groupe».

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Un des mystères de l’évolution humaine est ce qui a poussé nos ancêtres, il y a peut-être deux millions d’années, à se tourner vers une alimentation davantage carnivore. Or, le déclin des grands carnivores d’Afrique pourrait coïncider avec cette transition, mais pas parce que nos ancêtres se seraient soudain mis à affronter un lion à mains nues: parce que nous sommes devenus des compétiteurs très efficaces aux autres carnivores, poussant du coup des espèces vers l’extinction.

L’idée reste pour l’instant au stade de l’hypothèse: une telle corrélation est difficile à démontrer. Mais elle confirmerait les constats déjà faits en Australie et en Amérique du Nord, là où l’arrivée des premiers humains coïncide avec une extinction massive d’espèces. La différence avec l’Afrique toutefois, c’est qu’on ferait reculer de plus d’un million d’années le moment où l’influence de l’humain se serait fait sentir de façon tangible sur un écosystème.

Ce qui est sûr, c’est qu’il s’est passé quelque chose d’important il y a 2 millions d’années. Une grosse annonce en paléontologie a fait couler beaucoup d’encre, après sa parution la semaine dernière à la Une de la revue Science . Alors que cette époque est considérée dans les manuels comme celle où se multiplient les branches de l’espèce humaine —Homo erectus, Homo ergaster, Homo rudolfensis, etc.— cette nouvelle recherche émet plutôt comme hypothèse qu’il faille voir toutes ces branches comme des variations d’une seule et même espèce —la nôtre.

Autrement dit, Homo erectus et les autres, tous ces squelettes complets ou partiels découverts au cours du dernier siècle, éparpillés entre l’Afrique et la Chine, ne seraient pas des cousins dont les familles se seraient éteintes les unes après les autres, mais des cousins dont nous porterions encore en nous l’héritage génétique.

Les paléontologues sont loin d’être prêts à accepter cette hypothèse sur la seule base des cinq crânes de Georgie qui représentent le coeur de cette annonce dans Science. Mais l’anthropologue de l’Université du Wisconsin John Hawks la résume dans son blogue sous l’idée de l’hypothèse nulle, c'est-à-dire l’idée, dans ce cas-ci, qu’entre deux hypothèses, on devrait toujours choisir la plus simple.

Une réponse simple serait que nous adoptions l’hypothèse nulle, qui veut qu’un échantillon de fossiles représente une seule espèce. De multiples espèces représenteraient une pluralité inutile, à moins que nous ne découvrions que l’échantillon a des propriétés statistiques qui ne sont que rarement ou jamais trouvées chez une seule espèce.

Qu’est-ce qui pousse les auteurs de cette étude dans Science à vouloir bouleverser l’arbre généalogique? Ces cinq crânes de Dmanisi, en Georgie —étudiés par cette équipe depuis pas moins de huit ans— présentent une étonnante diversité: une mâchoire plus large pour l’un, un crâne plus large pour l’autre... Or, ils ont tous été découverts au même endroit et datent tous de la même époque —1,8 million d’années. Ils présentent aussi suffisamment de similarités pour que le chercheur principal, David Lordkipanidze, n’hésite pas à affirmer que ces crânes appartiennent à la même espèce —que lui et ses collègues proposent d’appeler Homo erectus, pour faire plus simple.

Le dilemme que pose leur hypothèse aux experts ne tourne pas seulement autour des squelettes. Il est aussi géographique: si tout ce petit monde appartenait à la même espèce, ça voudrait dire qu’Homo erectus aurait couvert un immense territoire, de l’Afrique à la Chine, sans pour autant que ses différentes «branches» n’aient eu le temps d’évoluer en des espèces distinctes.

En comparaison, les chimpanzés n’occupent qu’un mince territoire en Afrique centrale, et il a suffi d’une seule barrière géographique —le fleuve Congo— pour qu’un groupe de chimpanzés, il y a 2 millions d’années, évolue aujourd’hui en une espèce distincte, les bonobos.

Est-ce qu’Homo erectus, c’est vraiment «nous»? Pour trancher définitivement le débat, les ossements n’y suffiront pas. Il faudra sans doute passer à une étape qu’on aurait cru impossible il y a 20 ans: séquencer son génome. Des groupes y travaillent.

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