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Il y a 35 ans, une idée qui, à l’époque, avait pu paraître farfelue, allait germer parmi les médias québécois : une agence de presse spécialisée en science, destinée à alimenter les petits médias en nouvelles scientifiques.

Depuis sa fondation, l’Agence a bien changé : d’un service de nouvelles desservant l’ensemble des hebdos régionaux à ses débuts, elle est devenue, depuis l’avènement d’Internet, un imposant site d’informations scientifiques, rejoignant des centaines de milliers de passionnés chaque année, dont une importante proportion venant de France.

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Nous vous proposons d’ici le 22 novembre prochain, jour de célébration de ses 35 ans, de passer en revue certains de ses bons coups… et d’autres curiosités.

Les Terriens envahissent Mars

D'ici au début de décembre, pas moins de trois sondes spatiales auront quitté la Terre à destination de la planète Mars. Mais les chances qu'elles ont de découvrir quoi que ce soit qui permette d'accréditer la découverte spectaculaire de l'été dernier sont infiniment réduites, pour ne pas dire inexistantes.

"En fait, nous allons chercher sur d'autres planètes ce que nous aurions plus de chances de trouver ici", ironise Hojatollah Vali, ce géologue de l'Université McGill qui s'est retrouvé, au début d'août, au centre d'une frénésie médiatique en compagnie des huit autres signataires de cet article de la revue Science qui annonçait la découverte, dans une météorite martienne, de ce qui pourrait être des traces de vie vieilles de 3,6 milliards d'années.

Il s'empresse d'ajouter qu'il ne remet pas en question l'utilité des missions vers Mars: en préparation depuis des années, leur but premier n'est pas, après tout, de découvrir de la vie -même si la NASA insiste beaucoup là-dessus- mais de mieux comprendre la planète qui, dans l'ensemble du système solaire, ressemble le plus à la Terre. Chacun des trois engins-robots -deux Américains et un Russe- transporte une batterie d'instruments -magnétomètre, spectromètre, sismographe, caméras à haute résolution- pour étudier l'atmosphère, le rythme des saisons, le sol, les ressources naturelles, dans l'espoir de résoudre un mystère: qu'est-ce qui a bien pu se passer là-bas.

Il y a trois milliards et demi d'années, Mars était une planète beaucoup plus clémente qu'aujourd'hui, avec, selon toute vraisemblance, des lacs et des rivières. Ceux-ci sont disparus depuis au moins deux milliards d'années, et l'activité sismique -dont les éruptions volcaniques qui, sur Terre, sont étroitement liées à l'apparition de la vie- semble avoir pris fin. Pourquoi? Ce qui s'est passé sur Mars pourrait-il se produire sur Terre?

Découvrir des traces de vie au milieu de tout cela serait donc purement accidentel -le résultat, en fait, d'un incroyable coup de chance: pour que ces engins découvrent ce que nous avons découvert, explique Vali, il leur faudrait creuser très profondément -beaucoup plus profondément qu'ils ne sont capables de le faire (si la vie a existé sur Mars, elle n'a eu d'autre choix, sur sa fin, que de se réfugier dans les profondeurs du sol, à la recherche d'ultimes traces d'humidité).

Certes, s'il y a jadis eu sur Mars des bactéries (une bibitte qui, d'un point de vue de biologiste, représente déjà une forme de vie avancée) et non de simples molécules organiques comme celles qu'on croit avoir observé dans la météorite (des molécules complexes, mais qui ne sont pas à proprement parler de la vie), elles ont pu laisser des traces plus faciles à trouver: on appelle ça des stromatolites, genre de constructions naturelles que les colonies bactériennes laissent dans leur sillage. De telles "constructions», le paléontologue Hans Hofmann, de l'Université de Montréal, en a observé ces dernières années en Abitibi, ce qui lui a permis de confirmer que la Terre -ou, à tout le moins, l'Abitibi- abritait déjà des organismes de la taille d'une bactérie, il y a trois milliards d'années.

"Si la caméra tombe sur des stromatolites, explique-t-il, on va pouvoir les reconnaître tout de suite." Mais encore faut-il tomber sur LE bon caillou... "On n'y compte pas trop. Mais on ne sait jamais..."

Bien sûr, tout deviendrait beaucoup plus simple si le sol martien regorgeait de squelettes de petits hommes verts... Les ordres de mission

La première des trois sondes, Mars Global Surveyor, doit s'envoler le 6 novembre -en cas de pépin, son départ peut être repoussé jusqu'au 25. Elle doit se mettre en orbite autour de la planète rouge en septembre 1997 et en dresser une carte, tout en prenant des photos d'une qualité supérieure à tout ce qui a été pris depuis 30 ans. Elle remplace la sonde Mars Observer, perdue dans l'espace en 1993.

La deuxième, Mars Pathfinder, quittera Cap Canaveral le 3 décembre. Si tout va bien, elle deviendra, le 4 juillet prochain -jour de l'indépendance américaine, comme par hasard- le premier engin à se poser sur Mars depuis les sondes Viking, en 1976. Elle libérera une jeep automatique qui fera quelques petits tours dans les parages immédiats.

Enfin, une sonde russe, Mars 96, doit partir le 16 novembre. Six fois plus lourde que ses consoeurs -6000 kg- et beaucoup plus coûteuse -la Nasa est entrée dans l'ère du moins cher possible»- elle constitue l'aboutissement d'un projet vieux de 10 ans, ultime héritage de l'époque où la science soviétique avait les moyens de ses ambitions. Elle se mettra elle aussi en orbite en septembre 1997, et enverra se poser deux engins, et deux pénétrateurs», genre de piquets de métal de deux mètres de long qui s'enfonceront dans le sol martien pour y recueillir des données sur l'activité sismique et chimique -s'il y en a. Ces deux pénétrateurs représentent -et c'est la NASA qui le reconnaît humblement- l'expérience la plus innovatrice» de ces trois missions.

Mars 96 transporte par ailleurs de quoi mener pendant deux ans une vingtaine d'expériences scientifiques préparées par douze pays, dont la majorité (11) sont françaises.

Mais tout cela est bien loin des préoccupations d'Hojatollah Vali et de ses collègues qui, avec leurs microscopes électroniques, se sentent beaucoup plus près d'éventuels Martiens que ces trois sondes ne le seront jamais. Le patron de l'équipe qui a travaillé sur la météorite, David MacKay, et le scientifique en chef de la NASA, Wesley Huntress, ne s'y sont pas trompés, eux qui, devant le sous-comité de la Chambre sur l'espace, ont insisté en septembre sur la nécessité d'approfondir d'abord l'étude des 12 météorites martiennes connues jusqu'ici (appelées "météorites SNC"). Une série d'équipes internationales ont été mises sur pied, et le département Earth and Planetary Sciences de McGill, auquel appartient Vali, fait partie de l'une d'elles.

Mais il n'y a pas que les météorites, explique-t-il: "Ce que j'aimerais, c'est qu'on puisse mettre au point une méthode expérimentale pour étudier des sols martiens". Par exemple, en travaillant sur des roches tout à fait terrestres, ramassées au Pôle Sud, où la température est comparable à celle de Mars. "Ce serait bon de savoir à quelle sorte d'activité biologique nous pouvons nous attendre dans ce type d'environnement."

"Imaginez depuis combien de temps nous travaillons sur la Terre, nous géologistes. Et combien il y a de choses que nous ignorons encore. Mon sentiment quant à la vie sur Mars, c'est que nous n'obtiendrons pas de réponse claire de mon vivant."

- Article rédigé par Pascal Lapointe, 11 novembre 1996

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