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Ajouter deux lettres à l’alphabet génétique qui ne comptait —depuis des milliards d’années— que quatre lettres, c’est un exploit. Mais l’étape suivante est plus compliquée qu’il n’y paraît: intégrer ces deux lettres au mécanisme par lequel une cellule fabrique des copies d’elle-même, plutôt que de n’avoir qu’une paire cachée parmi des millions.

La percée, qui a été annoncée dans la dernière édition de la revue Nature , ne consiste pas en la création d’une nouvelle forme de vie. Et avant que l’on sache à quoi ces deux lettres serviront, si elles doivent servir à quelque chose, il y a une marge.

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Mais la percée fait rêver en même temps qu’elle inquiète.

Explication. Toute vie sur Terre, depuis les premières bactéries jusqu’à nous, a toujours été constituée de quatre «lettres» ou nucléotides: A, C, T et G. C’est l’association de ces lettres par paires —les paires de bases— qui finit par former un gène. L’être humain compte ainsi trois millions de paires de bases qui, mises bout à bout, forment 24 000 gènes.

Or, ce qu’a annoncé dans Nature l’équipe dirigée par Floyd Romesberg, du département de chimie de l’Institut de recherche Scripps, en Californie, c’est l’ajout, dans une bactérie E. coli, de deux lettres supplémentaires, baptisées pour l’instant X et Y. Un duo de lettres qui s’est transmis aux générations suivantes, chaque fois que la bactérie se divisait.

À quoi ça pourrait servir?

En théorie, plus de lettres signifie plus de variétés dans ce que peuvent produire nos gènes: autrement dit, si nos gènes peuvent actuellement produire 20 acides aminés avec quatre lettres, pourraient-ils en produire plus de 170 —c’est l’estimation qui circule— avec six lettres?

Romesberg semble en tout cas y croire, lui qui a lancé une compagnie, Synthorx, destinée à explorer l’éventuelle commercialisation de ces «nouvelles» protéines —à des fins médicales sûrement, ou industrielles, qui sait.

Quelles inquiétudes?

Mais l’inquiétude n’est jamais loin en pareil cas. Et si cette bactérie s’échappait dans la nature?

On en est loin. La paire de bases «non naturelle» en question n’était qu’une parmi les 4,6 millions que comptait cette bactérie E. coli. Elle s’est transmise d’une génération à l’autre certes, avec l’aide d’une protéine «étrangère» qui produisait les X et Y en question, mais il a suffi d’une semaine pour que les réserves de cette protéine soient épuisées et que la bactérie revienne à la «normale». En d'autres termes, c’est comme si on avait fait subir à cette bactérie une transplantation, qu’elle y avait survécu, et qu’elle avait rejeté la transplantation une fois celle-ci devenue inutile.

Faire de tout cela une partie intégrante de la bactérie, c’est-à-dire rendre cette bactérie capable de «transcrire» ces deux lettres de la même façon qu’elle transcrit les bon vieux A, C, T et G, c’est une autre paire de manches.

Steven Benner, celui qui avait parti le bal dès les années 1980 en créant en éprouvette des «formes modifiées» des molécules C et G, s’est montré sceptique quant aux suites immédiates. Parce que ces nucléotides X et Y ne sortent pas du néant: il a fallu un effort considérable pour produire les molécules qui, en s’assemblant, ont finalement abouti à ces X et Y.

L’étude parue dans Nature est très peu explicite là-dessus, mais on devine que la facture doit être salée: il a fallu 15 ans au laboratoire de Floyd Romesberg pour développer un génome contenant ces deux lettres supplémentaires. En 2012, ils étaient parvenus pour la première fois à faire en sorte que leur ADN à six lettres soit copié en éprouvette; il restait à voir ce qui se passerait dans une vraie cellule vivante. Et avec une seule paire de base, ils ne sont pas au bout du chemin.

Mais s’ils y arrivaient? Cette percée serait alors considérée un jour comme le premier pas vers la création de formes de vie «artificielles» —on appelle ça la biologie synthétique— et du coup, elle offre dès aujourd'hui une assise à ceux qui tentent de rédiger les premières règlementations sur ce champ de recherche qui pointe à l’horizon.

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