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Trois vagues d’Homo sapiens en Europe: une première, il y a 45 000 ans, que l’on connaissait déjà par ses os. Une deuxième, il y a 8000 ans, qui aurait vraisemblablement amené l’agriculture. Et une troisième vague, il y a 4500 ans —chez qui certains voient l’origine des langues européennes, mais ça reste douteux.

Sous des titres tels que «L’ADN déchiffre les racines des Européens modernes», ou «L'ADN révèle comment les Européens ont acquis la peau claire et la tolérance au lactose,» les amateurs d'histoire et de génétique s’en sont donné à coeur joie avec la parution d’un article dans l’édition du 10 juin de Nature, sur les talons d'un second article, en mars. Car si le décodage de génomes modernes, ces dernières années, avait esquissé ce portrait des trois vagues d'entrées en Europe, l’ampleur des données jetées dans l’espace public ce printemps est à une autre échelle: le séquençage complet de 101 génomes vieux de 3500 ans, dans le cas de la recherche publiée cette semaine, l’identification de plus de 400 000 variations génétiques chez 69 squelettes de 8000 ans, dans le cas d’une recherche publiée en mars...

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Cette dernière était le fruit d’une équipe dirigée depuis l’Université Harvard. L’autre, cette semaine, est à l’Université de Copenhague.

Et le tout tend à confirmer une étude de 2013, qui suggérait que pendant au moins 2000 ans, deux groupes génétiquement très distincts s’étaient côtoyés en Europe: l’un, plus ancien, vraisemblablement celui des chasseurs-cueilleurs, et l’autre, arrivé plus récemment et amenant avec lui un mode de vie nouveau, l’agriculture et l’installation dans un lieu fixe.

«C’est un processus culturel étonnant,» explique dans le New York Times le chercheur principal de l’équipe de Harvard, David Reich. «Vous avez des groupes qui sont aussi génétiquement distincts que le sont [aujourd’hui] les Européens et les Asiatiques de l’Est. Et ils vivent côte à côte pendant des milliers d’années», avant que le groupe plus ancien ne se fonde dans le groupe plus récent.

La troisième vague est la plus intrigante: un groupe de bergers et de cavaliers nomades connus des archéologues sous le nom de Yamna, associés jusqu’ici à l’ouest de la Russie il y a 4 à 5000 ans, mais dont ces génomes révèlent à présent l’arrivée en Europe il y a 4500 ans. Leurs gènes sont clairement identifiés dans les populations d’Europe centrale et du nord d’aujourd’hui. Mieux encore, l’équipe de Copenhague a observé ces gènes jusque dans des squelettes de Sibérie, vieux de 4700 ans.

C’est là qu’intervient l’hypothèse des langues européennes: comme cette culture Yamna aurait couvert des milliers de kilomètre à une époque où les linguistes placent la mythique langue «indo-européenne» de laquelle descendraient presque toutes les langues d’Europe et d’une partie de l’Asie, la tentation est donc grande d’associer l’indo-européen à la culture Yamna.

Le problème, c’est que des recherches en génétique ne peuvent rien nous apprendre sur la langue parlée.

Cette troisième vague d’immigration pourrait aussi être associée à ce que les historiens appellent l’Âge du bronze. Une période, il y a 3000 à 5000 ans, caractérisée par l’apparition assez rapide, en Europe et en Asie, de nouvelles technologies et de nouvelles traditions —chariots tirés par des chevaux et rites funéraires, par exemple. Le point d’origine a souvent été situé par les historiens en Asie centrale, ce qui pourrait coller avec l'expansion de la culture Yamna.

Qui sait aussi si ce ne sont pas eux qui ont introduit les mutations génétiques de tolérance au lactose —c’est-à-dire la capacité à digérer le lait. Selon l’équipe de Copenhague, cette variation génétique est rare chez les Européens lorsque commence l’Âge du bronze, alors qu’elle est pratiquement universelle aujourd’hui.

Et au-delà de l’histoire, il y a le futur immédiat... des généticiens. Pour eux, cette masse de données aurait été impensable il y a 10 ans, alors qu'ils commençaient péniblement à décoder des génomes préhistoriques, un par un. Mais au rythme où vont les choses, ces mêmes généticiens n’envisagent plus seulement, dans les 10 prochaines années, une reconstitution de l’arbre généalogique des migrations: ils entrevoient déjà des études sur l’évolution de l’alimentation de nos ancêtres, leur santé et même leur résistance —ou non— aux épidémies.

«C’est un moment intéressant», résume dans Nature le généticien de l’évolution Greger Larson, «parce que la technologie avance plus vite que notre capacité à poser des questions».

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