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Ça commence à jouer dur autour de la technologie «révolutionnaire» qu’est censé être CRISPR. Un texte remet en question celui ou celle qui pourrait s'en attribuer la paternité... au profit de l'auteur du texte lui-même.

 

CRISPR, c’est ce «scalpel biologique» mis au point en 2012 et devenu la percée scientifique de 2015. Les experts y voient la possibilité de réparer et modifier des gènes avec une précision inégalée, et d’autres percées prometteuses sont prévues pour 2016. Mais en attendant, un texte censé présenter une perspective historique tout en donnant un coup de chapeau aux pionniers, se fait descendre en flammes depuis quelques jours par certains des pionniers eux-mêmes.

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Au départ, l’auteur du texte paru le 14 janvier dans la revue Cell , n’est pas un observateur neutre. Eric S. Lander est directeur de l’Institut Broad au Massachusetts Institute of Technology, le premier centre de recherche à avoir décroché un brevet pour CRISPR, en avril 2014, grâce à une procédure accélérée obtenue par le biologiste Feng Zhang.

Sauf qu’une équipe concurrente, composée de la Californienne Jennifer Doudna —souvent mentionnée dans les médias comme la « mère » de ce scalpel biologique— et de la Française travaillant en Suède Emmanuelle Charpentier, avait déposé une autre demande de brevet sept mois plus tôt. L’Université de Californie conteste donc en ce moment le brevet accordé à l’Institut Broad, et le Bureau américain des brevets a accepté d’entendre les deux parties en mars.

Dans son article, intitulé «Les héros de CRISPR», Eric Lander mentionne bel et bien Jennifer Doudna, mais en lui attribuant un rôle amoindri, au milieu d’une longue chaîne de pionniers. Au terme de cette chaîne, les deux chercheurs qui obtiennent la plus grande attention sont les collègues d’Eric Lander à l’Institut Broad, Feng Zhang et George Church. À l’autre extrémité, Lander met également l’accent sur un pionnier méconnu, l’étudiant au doctorat espagnol Francisco Mojica, qui, entre 1989 et 2000, a posé les bases de la découverte.

L’un des premiers à avoir réagi, le biologiste californien Michael Eisen, voit dans cet article une «propagande» délibérée pour «miner les demandes de brevet et de reconnaissance de Doudna et Charpentier». Même certains de ceux qui ont défendu Lander ont reconnu qu’il s’était placé en conflit d’intérêts. Et son propre collègue George Church a pointé des erreurs factuelles.

La revue Cell a répondu le 19 janvier qu’Eric Lander leur a bel et bien envoyé une notice signalant son conflit d’intérêts —le fait qu’il soit le directeur d’un institut dont il est question dans son article— mais que la revue ne signale traditionnellement les conflits d’intérêts que lorsque ceux-ci sont de nature financière.

Financement et Nobel

Pourtant, au-delà de l’auto-promotion, le conflit d’intérêts dont il est question ici pourrait être qualifié de financier. Les choix que feront à brève échéance les investisseurs dépendront de ce qu’ils percevront comme le groupe de chercheurs le plus prometteur pour CRISPR. Autrement dit, l’Institut Broad pourrait récolter des millions de dollars, si la technologie CRISPR continue ses percées à l’allure qui est actuellement la sienne.

D’autre part, des récompenses prestigieuses pointent à l’horizon, dont un possible Nobel de médecine. Or, il faut se rappeler que les règles de la Fondation Nobel stipulent que le prix ne peut être remis qu’à un maximum de trois chercheurs. Les paris sont ouverts depuis 2015 : Doudna, Charpentier et Zhang? Zhang, Church et Doudna? Ou Zhang, Church et Mojica?

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[ Texte modifié le 22 janvier à 11h30 : Zhang avec un A et Charpentier employée en Suède ]

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