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Le port du voile islamique et la radicalisation djihadiste soulèvent au Québec et ailleurs des débats enflammés. Quel que soit son niveau de connaissance du sujet, chacun a un avis sur ces questions mêlant religion et société. Loin de la rumeur médiatique, des chercheurs se penchent sur les personnes qui vivent au cœur de ces problématiques. Les résultats préliminaires de leurs études ont été présentés dans le cadre du plus récent congrès de l’Acfas.

Professeure de sociologie à l’Université de Montréal et titulaire de la chaire de recherche du Canada en études du pluralisme religieux, Valérie Amiraux s’est intéressée aux femmes qui ont décidé de ne plus porter le foulard, en discutant longuement avec quelques-unes d’entre elles, des femmes de nationalité française vivant en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Que ressentent-t-elles après plusieurs années passées à porter ce « marqueur » religieux ? Elles parlent tout d’abord d’une expérience sensorielle. Certaines se sentent revivre, tandis que d’autres se sentent mal à l’aise, le hijab étant devenu pour elles une protection, représentant une certaine sécurité. Maintenant, le regard des gens qui les entourent change, les échanges avec les autres dans la rue ne sont plus ressentis comme de petites agressions, mais comme de véritables interactions. « J’existe ! » disent-elles.

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Elles racontent aussi l’obligation d’expliquer ce geste à leur famille, à leur communauté, à leurs collègues. Certaines commencent par sortir la nuit ou dans d’autres quartiers. Et puis, « en expliquant pourquoi on enlève le voile, on en arrive à expliquer pourquoi on l’a mis ». Et toutes ces justifications sont vécues comme autant de violence à propos d’un sujet qui, pour elles, relève de l’intime.

Chez ces femmes que Valérie Amiraux a rencontrées, enlever le voile a également changé le rapport à la religion. « Comment se sentir musulmane, maintenant que son islamité n’est plus affichée ? » Ainsi, plusieurs disent s’être remises à pratiquer la prière. Enfin, le geste d’enlever le voile questionne, bien sûr, leur sexualité, de la même manière que lorsqu’elles avaient décidé de le mettre. Une chose est sûre, ce geste est vécu comme une rupture sociale avec leur communauté précédente et qui impose de retisser des liens sous peine de se retrouver isolée.

Djihadisme et islam

Politologue, et codirecteur de l'Observatoire sur la radicalisation et l'extrémisme violent de l’université de Sherbrooke, David Morin questionne quant à lui la place du religieux chez les djihadistes canadiens. Comment devient-on djihadiste ? Après avoir étudié plus de 80 trajectoires individuelles de jeunes radicalisés, il n’y a pas vu de schéma, mais avant tout une grande part de hasard due au nombre incalculable de facteurs issus de leur environnement. Ainsi, il estime impossible de prédire la trajectoire de radicalisation religieuse d’un individu.

Pour ces jeunes, le départ pour le djihad, que ce soit en Syrie, en Irak, au Yémen ou en Afghanistan, peut être vécu parfois comme une quête spirituelle, mais bien souvent comme un retour à leur identité sociale. Ils ressentent alors l’islam en tant que « culture attaquée » plutôt que comme une foi profonde. « Beaucoup de djihadistes croient l’islam menacé par un grand complot occidental » explique le chercheur, soulignant la présence accrue chez ces jeunes, majoritairement des hommes de nationalité canadienne, de théories du complot, et de celle du choc des civilisations. La religion ne devient alors qu’une « esthétique du langage qui vient enrober la radicalisation ».

David Morin formule l’hypothèse d’une multiplication des tentatives de départ après chaque événement national ou international important (attentat, guerre, débat de société sur l’islam). Ainsi, « les emballements médiatiques seraient propices au passage à l’acte de nombreux jeunes » avance-t-il.

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