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Au Québec, la population est majoritairement favorable à la vaccination. Pourtant, de plus en plus de parents hésitent à faire vacciner leurs enfants. Pas assez informés ou jugeant les vaccins trop nombreux, ils sont un sur trois à se poser des questions. Ève Dubé, professeure associée aux départements de médecine sociale et préventive et d’anthropologie de l’Université Laval et membre du Groupe scientifique en immunisation de l’Institut national de santé publique du Québec, s’y intéresse. À la lumière de sa récente étude, elle tente de cerner les ambivalences de nombreux parents québécois.

Agence Science-Presse — Vous remarquez une hausse de méfiance face à la vaccination chez de nombreux parents québécois. L’enquête de couverture vaccinale de 2014 comporte même un volet destiné à pister cette hésitation face aux vaccins. Pouvez-vous nous expliquer ?

Ève Dubé — Depuis les dernières années, les professionnels de la santé nous rapportent une perte de confiance chez de plus en plus de parents. La vaccination reste forte (au-dessus de 85 %), mais une proportion grandissante des parents sont mal à l'aise avec leur décision. C’est le groupe le plus à risque d'arrêter et sur lequel on peut agir, contrairement aux antivaccinations. Ce malaise avec la vaccination provient souvent de l’impression que toutes leurs questions et leurs craintes restent sans réponse. Il faut donc mieux cerner leurs préoccupations avant qu’ils ne basculent dans le groupe opposé à la vaccination.

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ASP — La grande majorité des parents vaccinent leurs enfants, mais 35 % des parents hésitent. Quelles sont les principales raisons invoquées dans votre enquête ?

Ève Dubé — Pour ce tiers des parents d’enfants qui ne reçoivent pas toute la couverture vaccinale ou tardent à faire vacciner leurs enfants, ce qui s’exprime ce sont des préoccupations sur le nombre et la sécurité des vaccins pour des maladies perçues comme bénignes, telles que la grippe, la varicelle ou le rotavirus humain. Il y a un manque de connaissances, mais aussi beaucoup de scepticisme à l’égard de la science et des politiques publiques. Même si le lien avec l’autisme a été démenti, un quart des parents le rapportent. Il y a aussi la peur d’épuiser le système immunitaire d’un bébé en santé pour prévenir quelque chose qu’ils perçoivent comme hypothétique.

ASP — Le retard de vaccination semble être un indice de l’hésitation et d’une attitude moins favorable à la vaccination, n’est-ce pas ?

Ève Dubé — Le retard est une mesure plus fine que pour ou contre. Les jours de retard se transforment en mois et les parents finissent par refuser une dose, car ils se sentent pressés de le faire. Il faut donc agir dès le début, mais c’est difficile de cerner l’ambivalence des parents d’un simple retard dû à un problème d’accès aux services de santé. Le retard commence 14 jours après le rendez-vous médical – cela concerne 13 % des parents – il faut toutefois noter que 40 % des parents n’ont aucun jour de retard, ce qui est beaucoup. En croisant les deux mesures, le retard et la couverture vaccinale incomplète de l’enfant, il est possible de cerner ceux qui sont moins favorables à la vaccination. Après, il importe de les rassurer et de leur parler de manière ouverte et sans pression.

ASP — Lorsque les parents font moins confiance aux professionnels de la santé et à leur message, ils sont plus réticents à faire vacciner leur enfant. Leur source d’information importe lorsqu’on s’intéresse à ces parents, n’est-ce pas ?

Ève Dubé — On remarque que cette confiance est associée à une bonne couverture vaccinale. Les professionnels de la santé restent tout de même la source d’informations la plus consultée sur le sujet. Il y a de multiples sources d’informations et pas toujours fiables, tel Internet et les médias sociaux, où beaucoup de messages antivaccination circulent. Nous remarquons aussi la grande influence du réseau social – l’opinion d’une sœur ou d'un ami – qui joue beaucoup sur la décision à prendre de faire vacciner ou pas son enfant.

ASP — Quel est le profil des parents ambivalents ? Leur attitude peut-elle changer alors que l’enfant grandit ? Et peut-on donc extrapoler leur comportement à venir pour les futurs vaccins ?

Ève Dubé — Ce sont des parents qui craignent les vaccins et pensent qu’ils peuvent être inefficaces, bref qu’il y a un risque potentiel pour leur enfant. Dans l’enquête, on n’a pas pu relier leur attitude à un profil socioéconomique, mais la littérature scientifique nous dit qu’il s’agit plutôt de personnes éduquées et dédiées à l’éducation de leur enfant, qui pensent que leurs bonnes habitudes de vie et leur réseau de bons amis vont les protéger des maladies. Il y a également un autre profil, des personnes plus défavorisées manquant de ressources et d’accès aux soins.

Cela représente tout un défi pour la santé publique, car l’information ou l’éducation à la vaccination est plus ou moins efficace, il faut chercher d’autres moyens de transmettre notre message – en parlant par exemple de norme ou de protection de la communauté au sein d’entretiens ouverts et tolérants, passer du temps à répondre aux craintes. Il s’agit aussi d’être transparent sur les risques liés à la vaccination. C’est un exercice à ne pas négliger car, contrairement à un médicament, cela prend beaucoup de monde pour pouvoir bénéficier de la couverture vaccinale.

 

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